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Nous n’avons pas à rappeler la vilaine cuisine qui se fit alors, les ambitions des journalistes, des Guéroult et des Havin, leur entente avec les Cinq, sous le patronage de Girardin, etc.. Les ouvriers dénoncèrent ces procédés assez vils, et, « se décidèrent à imiter les hommes qui posaient leur candidature à côté de celle des dictateurs ». Les républicains bourgeois oublient un peu trop toutes ces origines, lorsqu’ils accusent les ouvriers d’avoir voulu faire le jeu de l’Empire… Mais nous verrons mieux.

S’il y eut des candidatures ouvrières en dehors de la liste de l’opposition et contre elle, la faute en est à l’opposition même. Le candidat ouvrier d’alors ne fit pas plus le jeu de l’Empire que M. de Lasteyrie, par exemple. Ils se trouvaient dans le même cas. Mais le fait même que Tolain et ses amis décidèrent quand même de poser des candidatures indique fort nettement leur but : ils ne tenaient pas seulement à obtenir les réformes souhaitées ; ils voulaient encore affirmer, faire reconnaître leur égalité sociale. En les repoussant, les membres de l’opposition les condamnaient à l’isolement ; mais ils allaient du même coup hâter la naissance d’une opposition de classe dans le domaine politique.

Elle n’apparut point cependant dès les élections de 1863. Tolain et ses amis étaient gens prudents.

Les deux candidatures ouvrières tardivement posées, celles de Coulant et de J.-J. Blanc, n’eurent aucunement le caractère de « candidatures de classe », au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Au fond, ce qu’ils revendiquèrent surtout, ce fut, en face de l’opposition, l’intégralité de leurs droits politiques. Mais cela seul était déjà une révolution.

Cette fois, nettement, l’opposition entre le groupe de Tolain et celui de la commission ouvrière de 1862 éclata. Parce qu’il était sans doute la plus connu, parce qu’il avait chance de rallier le plus de suffrages, on avait proposé la candidature à Chabaud. Il repoussa l’offre. « En nous engageant ainsi dans la lutte électorale, écrivit-il, nous nous aliénons tout le monde sans profit pour personne, et nous restons, avec nos propres ressources, qui, il faut bien le dire, sont loin d’être celles que donne l’unité ». C’était encore une fois l’opposition de ceux qui attendaient du pouvoir et de la bourgeoisie l’octroi bienveillant de réformes reconnues nécessaires et ceux qui, croyant une action nouvelle indispensable pour les obtenir, allaient faire de leur classe un parti nouveau. Mais c’était aussi l’opposition entre ceux qui prenaient confiance dans leurs propres forces, et ceux qui croyaient devoir être éternellement des subordonnés. S’il faut même en croire Guéroult (Opinion Nationale, du 6 juin 1863), lui-même proposa, à plusieurs reprises, une candidature à Blanc, qui était le metteur en page de l’Opinion ; celui-ci refusa, et pour mieux affirmer son indépendance, marcha seul.

Le 24 mai 1863, ce fut le Temps qui annonça sa candidature, la première candidature ouvrière. Un groupe d’ouvriers de la 1ere circonscription écrivaient au Temps qu’ils avaient toujours eu « l’intention de présenter et de