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l’association du capital et du travail, deux fonctions différentes, ne pourra s’obtenir que par une liberté entière, complète, accordée aux deux intérêts. Ils formuleront séparément leurs prétentions, les feront triompher à leurs risques et périls, par tous les moyens qu’ils jugeront convenables, sans qu’on puisse ni qu’on doive y apporter d’autre limite que la liberté d’autrui et non son intérêt ». (Quelques vérités sur les élections de Paris, 1863.)

Paroles modérées, mais fermes, inspirées évidemment comme toutes celles des délégués parisiens par un large esprit de conciliation avec la classe patronale, mais où perce peu à peu, de plus en plus visible, ce sentiment d’indépendance, d’autonomie absolue de classe, qui est forcément à la base d’une action syndicale véritable.

Les rapports des délégués parisiens expriment bien les revendications des travailleurs conscients, en cette fin de 1862. Il nous faut ajouter un trait à cette description de leur état d’esprit : il nous faut dire les sentiments que leur contact avec les ouvriers anglais avaient développés chez eux. Et cela est capital.

Avec une fierté naturelle, les ouvriers anglais avaient expliqué à leurs frères de France les détails de fonctionnement de leurs sociétés ; ils les avaient guidés dans les ateliers. Enfin, dans une grande fête, le 5 août, des délégués de diverses industries avaient été reçus par les travailleurs organisés de Londres.

Côté Français, nous en avons un compte-rendu dans l’Opinion nationale du 8 août. 70 délégués furent reçus par 250 ouvriers anglais ; mais il est remarquable que les chefs tradi-unionistes n’avaient point pris l’initiative de la réception. Par contre, le président Nicholay eut à lire tout d’abord une lettre d’excuses du ministre Palmerston.

Puis, ce fut la lecture d’une adresse des ouvriers anglais à leurs camarades de France.

Ils y disaient les luttes sérieuses que les ouvriers de tous pays allaient avoir encore à soutenir « quoique l’avenir semblât leur promettre la satisfaction de leurs droits et de leurs espérances ». Ils répudiaient, après les discussions nationales, ruineuses pour leurs patries respectives, les discussions sociales, fatales à ceux que la concurrence entraînerait contre leurs frères.

« Aussi longtemps, continuaient-ils, qu’il y aura des patrons et des ouvriers, qu’il y aura concurrence entre les patrons et des disputes sur les salaires, L’union des travailleurs entre eux sera leur seul moyen de salut.

« La concorde entre nous et nos patrons sera le seul moyen de diminuer les difficultés par lesquelles nous sommes entourés.

« Le perfectionnement des machines que nous voyons se multiplier de toutes parts et la production gigantesque qui en est la conséquence, viennent tous les jours changer les conditions de la société. Un problème immense est à résoudre : la rémunération du travail… »

« Nous pensons, concluaient les ouvriers anglais, qu’en échangeant nos