Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Une proclamation du président a l’armée disait ensuite aux soldats l’affection particulière qu’un Napoléon Bonaparte leur gardait : « Nous sommes unis, disait-il, par des liens indissolubles. Votre histoire est la mienne, il y a entre nous, dans le passe, communauté de gloire et de malheur ; il y aura, dans l’avenir, communauté de sentiments et de résolutions pour le repos et la grandeur de la France ».

Complétant cet ensemble, une proclamation du préfet de police aux habitants de Paris les invitait à garder l’ordre. « Ayez confiance dans celui que six millions de suffrages ont élevé à la première magistrature du pays. Lorsqu’il appelle le peuple entier à exprimer sa volonté, des factieux seuls pourraient vouloir y mettre obstacle. Toute tentative de désordre sera donc promptement et inflexiblement réprimée ».

Ainsi se présentait le coup d’État. Dans sa forme, comme dans son fond, il voulait être une réplique fidèle du 18 Brumaire. De même que Brumaire avait permis au premier Napoléon d’organiser la France régénérée, de même Décembre permettrait au second, pourvu à son tour d’un pouvoir fort, d’organiser la France républicaine de 1848.

Et sûrement, selon le rêve qu’avait conçu le président, Décembre devait être un succès, un succès plus sûr et plus complet encore que Brumaire. Un nouveau coup d’État, tenté par le neveu du grand Empereur, ce serait l’affirmation nouvelle, éclatante, de l’idée napoléonienne. Et cette idée napoléonienne, cette idée qui consistait, comme il l’avait montré dans son ancienne brochure « à reconstituer la société française bouleversée…, à concilier l’ordre et la liberté, les droits du peuple et les principes d’autorité[1] » n’était-elle point celle qui devait rallier l’unanimité de la nation ? Un pouvoir fort, stable, « tranquillisant les citoyens, permettant de compter sur l’avenir[2] » ; un Gouvernement capable de faire le bien, de détruire le paupérisme, de résoudre pacifiquement le problème de la misère, n’était-ce point là ce que toutes les classes désiraient, ce qu’un Napoléon, seul, pouvait accomplir. ? L’aristocratie financière, n’affirmait-elle pas, par la hausse des cours à chaque victoire de l’exécutif, qu’elle voyait en lui « la sentinelle de l’ordre » ? La bourgeoisie industrielle, dans toute la province, ne souhaitait-elle pas la fin de toutes les luttes parlementaires, même conduites par le parti de l’ordre, et la dissolution de l’Assemblée ne lui assurerait-elle pas pour toujours la tranquillité politique ? Les Conseils généraux, tenus depuis le 25 Août s’étaient déclarés, presque à l’unanimité, favorables à la révision de la constitution, c’est-à-dire à la prolongation des pouvoirs de Louis-Napoléon. Et les petits bourgeois, les petits industriels, les petits commerçants, ignorants et de vue bornée, accusaient les parlementaires, les politiciens, les bavards, de la petite crise industrielle qui avait dérangé leurs

  1. Des idées napoléoniennes. Préface.
  2. Rêveries politiques