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plus inutile l’apprentissage et l’on méprisait désormais tous les chefs-d’œuvre délicats qui étaient la gloire des métiers. Les chemins de fer avaient ruiné les institutions du Tour de France. Les ouvriers modernes raillaient les vieux rites d’autrefois. Les tentatives d’Agricol Perdiguier et de Chovin pour ranimer tout ce passé étaient vaincs : le compagnonnage avait fait son temps. Il n’y avait plus qu’à ranger pieusement les beaux rubans et les grandes cannes !

Où se rencontrer cependant ? Comment se concerter enfin ? Car il est de toute nécessité que les prolétaires se concertent : l’entente est pour eux une question vitale.

Or, l’État encourage, protège les sociétés de secours mutuels. Il y interdit sans doute la distribution de secours de chômage et à plus forte raison encore, les secours de grève. Il y a interdit les discussions professionnelles ; et il y introduit des membres honoraires, des bourgeois, pour assurer la paix sociale. Il n’importe cependant : ces sociétés existent ; elles sont tolérées ; elles sont un lieu de rencontre possible ; et l’on n’empêchera jamais deux ouvriers, deux prolétaires qui se rencontrent ensemble, en quelque société que ce soit, de traiter le problème de leur condition.

D’ailleurs, ici encore, il existait une tradition : les associations syndicales étant interdites en France, souvent depuis des années, les ouvriers s’étaient associés dans les Sociétés professionnelles de secours mutuels. En dépit de toutes les interdictions et prescriptions, les sociétés de secours mutuels demeurant cette fois les seules autorisées, elles devaient devenir, alors plus que jamais, des centres de défense professionnelle.

On en a d’illustres exemples. A Marseille, la Société Saint-Claude, qui datait de 1834, la Société Saint-Simon et la Société Saint-Jude, toutes trois composées d’ouvriers tanneurs ou corroyeurs. étaient animées d’un véritable esprit syndical. En 1834, c’est à la suite d’une coalition guidée par elle et dans laquelle neuf de ses membres furent condamnés, que la Société Saint-Jude fut dissoute. Tous alors rallièrent la Société Saint-Claude, qui déjouait fort habilement l’étroite surveillance des autorités locales. En 1855, ses membres traqués par la police, se rendaient au large en canot, et discutaient ainsi, la nuit, en face du phare Sainte-Marie. En 1856, cependant, les administrateurs furent poursuivis, les livres saisis ; et la société dut se terrer, mais, obstinément, continua à vivre.

A Paris, la Société générale des ouvriers chapeliers, après avoir été interdite en 1851, puis autorisée de nouveau à fonctionner en 1852, fut définitivement dissoute, par arrêté du préfet de police en 1853, pour avoir employé ses fonds à soutenir une grève partielle. Et si, en 1855, lors de la grande grève pour la substitution de la fécule au poussier de charbon dans les fonderies de cuivre, la Société de secours mutuels des ouvriers fondeurs en cuivre échappa au même sort, cela tint à ce que les organisateurs,