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de fer aux départements et au-delà des mers à l’étranger, sur le modèle de ceux de la Suisse… Dans l’industrie si variée et souvent si délicate des tissus, la mécanique qui y a déjà bien établi sa souveraineté, étend sans cesse son empire ; elle n’y laissera pas un coin qui ne soit directement sous sa loi. Ainsi en ce moment, nous la voyons s’attaquer avec succès au tissage du velours fin ». Dans la meunerie, dans la boulangerie, dans la maréchalerie, pour la fabrication des fers ; dans la lingerie de confections, avec la machine à découper et la machine à coudre, mêmes constatations. Il n’est point jusqu’aux articles de Paris, dont la fabrication ne soit aussi atteinte par cette révolution générale : dans les fabriques de porte-plumes, d’encriers, de lorgnettes de spectacle, le machinisme fait invasion, et dans la chapellerie même, par les inventions de Laville. « C’est, conclut Michel Chevalier, un des caractères dominants de l’industrie moderne, le plus saillant peut-être, que la mécanique la pénètre de toutes parts. Toutes les branches d’industrie éprouvent les unes après les autres cette sorte d’invasion, qui est pour le bien général, malgré l’effroi qu’elle a inspiré a un écrivain généreux et d’ailleurs fort éclairé, Sismondi ; et malgré la défaveur avec laquelle elle est envisagée parmi les populations ouvrières ». (P. CXI).

De fait, Michel Chevalier avait raison de le noter : le prix de nombreux produits industriels avait notablement baissé. Et la production générale, grâce au machinisme, s’était accrue dans des proportions énormes.

L’enquête de 1865, déjà évaluait à 12 milliards de francs la valeur totale de la production industrielle de la France ; et malgré les baisses considérables de prix, c’était le double de la valeur de la production constatée 20 ans plus tôt.

Mais un point surtout importe : C’est la révolution industrielle produite par ces transformations étendues de la technique.

La conséquence immédiate et connue de la floraison de machinisme, c’est la concentration des entreprises, c’est la substitution de la fabrique, de l’usine, au petit atelier.

Si dans certaines régions, dans la Normandie et dans le Centre, par exemple, fabricants et ouvriers s’accordent alors pour résister à la transformation industrielle, les uns pour éviter la dépense de machines coûteuses, les autres par amour de leur indépendance, par crainte de la discipline rigoureuse des ateliers ; si, dans les campagnes, le travail à domicile s’obstine à lutter, de plus en plus misérable, contre la grande industrie, dans d’autres régions, dans le Nord, en Alsace, la Révolution s’accomplit. Et il faut qu’elle s’accomplisse : c’est la loi inéluctable.

Il n’est point de socialiste qui ne connaisse les conséquences sociales du machinisme. Marx les a décrites avec une vigueur incomparable. Les économistes du Second Empire les virent eux aussi se produite sous leurs yeux. Ils virent une fois de plus la concurrence impossible à soutenir pour le petit atelier, la prolétarisation croissante des artisans, l’afflux des femmes et des