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réclamer unanimement une part de pouvoir, et, dès l’abord, une part de contrôle.

Tous, républicains, orléanistes, légitimistes, catholiques, qui avaient connu tour à tour la dure pression du gouvernement, budgétaires ou protectionnistes, brouillés avec L’Empire, exclus du bénéfice de la candidature officielle, ils allaient avoir Le même programme commun, celui que les Cinq avaient formulé dans leurs amendements successifs, et dont tous avaient appris à connaître le prix. Ils ne pouvaient les uns ni les autres exprimer leur idéal ; ils ne pouvaient, sous peine d’être frappés, réclamer le rétablissement de la République ou faire du retour de leurs princes un article de leur programme. Mais comme Jules Favre ou Ernest Picard ils allaient réclamer le droit de contrôle des représentants, la liberté de la presse, l’autonomie municipale, un suffrage universel sincère, non truqué, le vote du budget par article ; ils y ajouteraient la diminution des impôts et la réduction de l’armée ; et quelques orléanistes même ne craindraient point de parler de la nécessité de relever la condition des classes pauvres. Le programme de la bourgeoisie orléaniste devenait ainsi le même que celui de la bourgeoisie républicaine. Pourquoi une alliance étroite ne se serait-elle pas refaite contre un pouvoir oppresseur, comme elle s’était faite en juin contre le prolétariat. La différence serait cette fois que l’on admettrait le prolétariat : on avait besoin de ses voix.

C’est ainsi qu’il fut question sur ce programme commun de constituer tous les opposants à l’Empire en une vaste Union libérale. On y renonça ; on se contenta d’un accord tacite, mais évident. Ceux qui avaient gardé le souvenir le plus vif des événements de 1848, ceux qui avaient souffert de la perfidie des républicains du lendemain avaient en effet manifesté de l’opposition. Surtout les chefs républicains commençaient à sentir que les ouvriers parisiens les suivaient moins docilement. A l’heure où, pour agir plus efficacement, ils songeaient à s’adjoindre « des orateurs », à l’heure où Émile Ollivier insistait auprès de Thiers, qui faisait la petite bouche, pour qu’il acceptât une candidature, quelques prolétaires déclaraient qu’ils ne pouvaient voter pour le massacreur de la rue Transnonain. Enfin, il faut bien le dire, les querelles mesquines des républicains bourgeois, n’étaient point propres à leur assurer l’appoint des forces ouvrières.

De fait, ce n’était point un bien beau spectacle que celui donné alors par les protagonistes de l’opposition républicaine ou prétendue telle. Chaque petit groupe prétendait conduire le mouvement, exercer « sa dictature ». Qu’on lise le récit de ces élections dans le petit livre impartial de Victor Pierre (Les élections de 1863), paru au lendemain de la lutte, ou dans le chapitre que M. Émile Ollivier leur a consacré (Empire libéral, VI, 215), on éprouvera la même impression d’une cuisine électorale fort déplaisante. En l’absence d’un contrôle suffisant de l’opinion publique, ou plutôt d’un corps électoral politiquement éduqué, tous les ambitieux intriguaient : les