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esclaves. Il démontrait à M. Billault que ce n’était qu’en vertu de la suppression momentanée d’un des plus grands principes du droit public que les troupes françaises demeuraient à Rome : et il prouvait a l’Empereur l’équivoque de sa politique. Il s’élevait contre les coûteuses entreprises de gloire extérieure, contre les expéditions de Syrie, de Chine, et surtout, depuis 1862, contre cette sinistre expédition du Mexique qui allait bientôt dérouler toutes ses conséquences, et que le Second Empire devait traîner comme un boulet, jusqu’à sa chute. Il dénonçait le gaspillage des finances et la ruine d’une situation extérieure, naguère encore si favorable.

À son tour Ernest Picard, avec une éloquence fine et mordante, avec un air de scepticisme et d’ironie, qui dissimulait bien une conviction émue et une souffrance vraiment sincère de l’état présent, s’attaquait à la tutelle administrative des grandes villes, aux entreprises coûteuses d’Haussmann, aux transformations précipitées de la capitale. Il dénonçait le gouvernement révolutionnaire des immeubles, qui siégeait à l’Hôtel de Ville ; l’expropriation en permanence ; l’expulsion en masse des petites gens, les spéculations des puissants ; et le pouvoir autocratique, énorme, irresponsable, qui dépeçait les quartiers, abattait les maisons, vendait et revendait des terrains, sans que la Cour des Comptes elle-même pût obtenir de réponses à ses demandes de renseignements. Il réclamait Paris aux Parisiens, comme la France était aux Français. Et comme M. Billault déclarait que le gouvernement impérial ne rendrait jamais Paris, il affirmait que les Parisiens un jour, le reprendraient.

Enfin, Émile Ollivier, le fils du proscrit, le jeune avocat, impatient de jouer un grand rôle, l’ambitieux aussi, qui avait tant intrigué pour se faire nommer en 1857, secondait Jules Favre, et non sans talent, dans ses critiques du régime électoral, du régime de la presse, ou des expéditions lointaines.

Mais, déjà, les manœuvres de Morny avaient commencé de désagréger le petit groupe. Ollivier s’était laissé prendre aux compliments, aux flatteries de l’habile président. Il lui était reconnaissant de lui passer ses hardiesses oratoires, de l’aider ainsi a grandir : et il se convainquait facilement de la nécessité d’une politique nouvelle, dans un Empire libéral, dont il deviendrait le grand homme. Depuis les décrets de 1860 surtout, décrets qu’il avait acceptés en sujet reconnaissant comme un octroi gracieux de l’Empereur, le jeune politicien, las d’être un « opposant sans espoir luttant pour le devoir et pour l’honneur » (Empire libéral, IV. 95), trouvait « rengaines » les déclarations de Jules Favre, ridicules les défiances de Picard, et il n’écoutait plus ses amis qu’avec malaise. Lors de la discussion de l’adresse de 1861, il lança un ballon d’essai. Dans un discours, que les clairvoyants dénoncèrent comme un discours-ministre, il décrivit la gloire éternelle qu’il y aurait pour l’Empereur « à devenir l’initiateur courageux et volontaire l’un grand peuple à la liberté ». Et il ajouta : « J’en réponds, le jour où cet appel serait fait, il pourrait