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Lorsque les troupes de Cialdini étaient entrées en Ombrie, en septembre 1860, l’Empereur avait rappelé de Turin son envoyé, M. de Talleyrand. Et telles étaient alors ses dispositions anti-italiennes qu’il songea un moment à permettre une intervention autrichienne, contre l’Italie unitaire. (Cf. Bourgeois, p. 635). Mais il ne s’engageait jamais à fond : il avait laissé à Turin un chargé d’affaires, et les négociations secrètes ne pouvaient tarder à reprendre. Contre la volonté des libéraux, il avait maintenu ses troupes à Rome ; mais il ne leur avait pas donné l’ordre de combattre pour défendre les États pontificaux. Plus tard, encore, il avait envoyé une escadre devant Gaëte ; mais, à la demande de l’Angleterre, il lui avait bientôt ordonné de s’éloigner. Lord Russell, proclamant aux applaudissements des libéraux que les nations avaient toujours le droit de changer de gouvernement, se payait même le malin plaisir de lui damer le pion, comme protecteur des nationalités. Mais toutes ces concessions n’avaient point apaisé l’opposition cléricale ; et il assistait impuissant et embarrassé à la violente campagne qu’elle déchaînait contre lui. Entre le pape entêté dans ses prétentions temporelles et l’Italie impatiente de s’installer à Rome, il rêvait encore une réconciliation impossible ; et il suivait avec une sympathie inquiète les efforts des amis de Cavour, de l’abbé Stellardi et du Dr Panta-leoni, qui cherchaient alors à convaincre le pape.

En mars 1861, le Corps législatif et le Sénat ouvrirent pour la première fois leur session par la discussion de l’adresse. Ce fut l’occasion, pour le parti clérical, d’une nouvelle et violente offensive. M. de La Rochejacquelein rappela le devoir de la France catholique, devoir que lui indiquaient ses soldats, combattant en Syrie, en Chine ; il réclama une intervention armée en faveur de la papauté. Le prince Napoléon intervint pour défendre l’unité italienne ; il critiqua avec véhémence le pouvoir temporel, l’Autriche, les Bourbons, et si M. Billault lui répondit, l’insertion du « magnifique discours », du prince au Moniteur des Communes et sa publication à des millions d’exemplaires, témoignaient du souci que l’Empereur éprouvait de la bataille catholique. La modération de M. Billault lui-même n’avait obtenu qu’à grand peine le rejet d’un amendement en faveur du pouvoir temporel. 61 voix, presque la moitié du Sénat, l’avaient approuvé.

Au Palais-Bourbon, même bataille. Le projet d’adresse, rédigé par une commission de dix-huit membres, remerciait l’Empereur « d’avoir, par ses constants efforts assuré à la papauté sa sécurité et son indépendance, et sauvegardé la souveraineté temporelle autant que l’avaient permis la force des choses et la résistance à de sages conseils ». Cette phrase fut le signal de l’attaque : MM. Kolb-Bernard, Plichon et Keller se firent les avocats passionnés du Saint-Siège. M. Plichon stigmatisa les attentats déloyaux par lesquels « une des plus anciennes maisons de l’Europe compromettait son trône et l’honneur de ses ancêtres ». M. Keller souligna cruellement que c’était l’attentat d’Orsini qui avait fait décider l’Italie, que « c’était la lettre