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concerne l’Allier (BB 30/386 2). Il note constamment à Montluçon « une fermentation à peine saisissable de la classe ouvrière » (juillet 52) : fermentation que son substitut saisit mieux, le jour où on lui casse ses carreaux (5 août 1852). En juillet 1855, il note que le « mouvement industriel paraît ne s’y être développé qu’au détriment de la tranquillité et de la moralité publique ».

En Alsace (ressort de Colmar, BB 30/376), mêmes constatations : la population est « gangrenée de socialisme », et son silence ne rassure pas du tout le procureur (10 juillet 52). Le 31 mars 53, il signale la population de Mulhouse comme « une des plus dangereuses qui existent en France ».

Enfin, dans le ressort de Douai (BB 30/377), au moment même où il note « l’incroyable élan de l’industrie », l’informateur semestriel est forcé de constater comme ses confrères que les républicains, réduits au silence, n’ont point perdu courage. Jusqu’au dernier rapport qui a pu nous être communiqué celui de juillet 1856, il lui faut noter la persistance du parti républicain « devenu socialiste en pénétrant les masses ». « C’est à Lille, dit-il. et dans les groupes industriels qui l’entourent, à Anzin, à Saint-Amand, à Orchies, à Valenciennes que les républicains ont le plus d’adhérents dans le Nord ».

Dans les centres moins industriels, la classe ouvrière est animée partout des mêmes sentiments. Préfets et procureurs sont unanimes. L’un écrit de la Côte-d’Or : « Les mauvaises passions exercent toujours leur empire sur les classes ouvrières ». Un autre, de Metz : « Après les grâces accordées au parti démagogique, la fermentation et le mouvement commencent à reparaître ». De Rouen : « Nulle amélioration morale parmi les ouvriers ; les anciens cadres subsistent encore ; dans les classes supérieures, disposition à considérer l’Empire comme un fait transitoire, à éviter de s’engager avec le gouvernement ». D’Orléans : même note. Et enfin le procureur d’Aix, qui exagère, craint « un soulèvement général dans le Midi ».

Mais, ce que nos citations mêmes ne peuvent rendre, c’est l’impression d’ensemble qu’on éprouve à la lecture de ces rapports. Si quelqu’un pouvait douter encore des dispositions de la classe ouvrière à l’égard de l’Empire, nous lui conseillerions de parcourir quelques-uns de ces rapports. Il y verrait le nombre incalculable de poursuites pour outrages envers l’Empereur, pour des paroles qui échappaient. Il y verrait qu’il n’y a presque point de mois où ne soient signalés des ouvriers, des paysans qui menacent d’un nouveau 93, vengeur de 48, qui acclament « la République démocratique et sociale ». Et il acquerrait la conviction que non seulement les militants, tous ceux qui pensaient et voulaient encore, demeurèrent fidèles à la République, mais que bien souvent le prétendu ralliement de la classe ouvrière à l’Empire n’était qu’une phrase officielle.

Que les proscrits, que les exilés écrivent donc : qu’ils rappellent les crimes de décembre, qu’ils disent la nécessité de la liberté : il y a en France une jeunesse