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pouvez compter, — et c’est quelque chose, — c’est l’exactitude de mes envois : ce sont pour moi des échéances de banque ; ainsi donc tous les 6 et 20 jours, je vous ferai l’envoi de quinzaine, et la veille, si le 6 ou le 20 est un samedi, parce que ce jour-là il n’y a pas de courrier pour Londres ; je le ferai ainsi tant que durera la souscription ; pour cela, il faut qu’il me reste assez de force pour effectuer moi-même les rentrées (379 par mois et 80 ou 90 étages à monter par jour avec des palpitations qui m’empêchent de respirer quand j’arrive aux étages supérieurs). Mon cher Schœlcher, je fais bien peu de chose, j’en conviens, mais je fais tout ce qu’il m’est humainement possible de faire ». Grâce à ces efforts, bien des misères furent soulagées ; les mensualités pour Londres étaient de 11 à 12.000 francs en 1853. Résultat plus important encore : la souscription maintenait unis des républicains. Quand la police poursuivait Goudchaux, en octobre 1854, comme « caissier de la conspiration » et perquisitionnait chez lui, elle faisait évidemment — et volontairement — une bêtise. Mais elle marquait bien le rôle efficace de la souscription, dans cette conspiration permanente qu’était le parti républicain.

Ce que Goudchaux faisait à Paris, d’autres le faisaient en province. Les porcelainiers de Limoges envoyaient régulièrement des subsides à leurs militants frappés. Lyon, de même, avait sa société de secours : la ville avait été divisée en cantons ; et dans chaque canton, de petits groupes de six membres étaient constitués, chaque membre payant 5 centimes la semaine. Les chefs de groupe formaient la commission centrale du canton ; et chaque commission centrale avait son représentant à la commission supérieure. Les prolétaires lyonnais avaient gardé leurs habitudes d’organisation ! Pour la bienfaisance, provisoirement, ils se voyaient, se concertaient. Plus tard, encore, ils le sauraient faire, pour d’autres buts.

Comme les sociétés de secours, les salons permettaient cette propagande individuelle, d’homme à homme, qui entretenait les courages et gagnait parfois quelques intelligences. C’était le moyen d’opposition dont usaient surtout les légitimistes et les orléanistes. Les républicains ne le négligèrent point. Chez Carnot, chez Garnier-Pagès, chez Hérold, chez Laurent Pichat, ils étaient chez eux ; et les mouchards ne pouvaient s’introduire là comme dans une société secrète. Chez Mme d’Agoult (Daniel Stern), la rédaction de la Revue de Paris se donnait rendez-vous. H. Carnot, Renan, Berthelot, Chaudey, Littré s’y rencontraient. Et « les conversations déplorables », comme disaient les préfets, allaient leur train. La critique amère et les épi-grammes alternaient. Les pamphlets manuscrits, les chansons, les bons mots, tout était bon pour attaquer. Chez les jeunes, les réunions nocturnes étaient souvent plus mouvementées : dans l’atelier du peintre Delestre, Ribert et Gustave Jourdan discutaient passionnément du libéralisme et du jacobinisme. D’autres précisaient les réformes à accomplir à la chute de Empire. Mais combien, au milieu même de ces discussions, suivant d’une