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guerre pour la possession de quelques îlots perdus au fin fond de l’Océan ?

La question fut portée, le 29 février, à la Chambre. Billault et Dufaure menèrent le combat contre le cabinet, qui avait enfin pris la résolution de désavouer Dupetit-Thouars. Le colonial Ducos les appuya par un ordre du jour de désapprobation de la conduite du ministère. La Chambre semblait fléchir sous la pression belliqueuse de l’opinion exaspérée d’une nouvelle capitulation devant les exigences anglaises. La suite de la discussion ayant été remise au lendemain, la soirée fut employée par le ministère et ses amis à montrer aux députés les suites du vote qu’on leur demandait.

M. Thureau-Dangin a trouvé dans les notes inédites de M. Duvergier de Hauranne un récit fort significatif de cette soirée, où le baron de Rothschild, à la réception de la duchesse d’Albufera, allait de l’un à l’autre en disant : « Vous voulez la guerre : eh bien, vous l’aurez… Dans quelques jours, on se tirera des coups de canon. » Financiers, négociants, industriels, éleveurs, pour la plupart, les députés voulaient bien fanfaronner à l’unisson de la vanité nationale ; mais de là à vouloir délibérément un conflit qui arrêterait les transactions, fermerait les ateliers, tarirait, sauf pour les entrepreneurs de fournitures militaires, la source abondante de leurs bénéfices en supprimant tout échange avec l’Angleterre, il y avait un pas qu’ils n’étaient point disposés à franchir.

Aussi, le lendemain, furent-ils beaucoup plus froids. Quant à Guizot, son parti était pris. Passant par-dessus les usages parlementaires, il déclara que, si l’ordre du jour Ducos était voté, le cabinet ne se retirerait pas. La Chambre aurait simplement, par cette manifestation, affaibli les négociateurs français dans leur débat avec le gouvernement britannique. L’argument porta et, au vote, Guizot retrouva sa majorité.

Il devait la trouver moins maniable, quelques semaines plus tard, lorsque vinrent en discussion les projets de loi préparés par Villemain sur les petits séminaires et sur l’instruction secondaire. La recrudescence de cléricalisme que nous avons signalée dans un chapitre précédent, et les complaisances du pouvoir pour cette réaction religieuse avaient provoqué nécessairement dans le pays un mouvement de résistance. La bourgeoisie entendait bien se servir de l’Église pour tenir le prolétariat dans l’état de résignation qui en assurait la servitude, mais non se livrer elle-même pieds et poings liés à la puissance cléricale.

Or, tant que l’Église n’est pas tout, n’a pas tout, elle se dit opprimée et persécutée. On ne lui fait pas sa part. Ce qu’elle demandait, sous le nom de liberté de l’enseignement, c’était le monopole pour les établissements d’instruction que les jésuites, les dominicains, d’autres associations tout aussi illégales, ouvraient sur tous les points du territoire. L’Université, objet de sa haine, était accusée avec effronterie de posséder le monopole de l’enseignement et d’en profiter pour « décatholiciser » la France.