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association de malfaiteurs officiels étaient placés dans l’alternative d’intenter un procès lent et coûteux à la Ville pour toucher l’indemnité qui leur avait été allouée par le jury d’expropriation ou de payer rançon aux bureaux. Le montant des indemnités était élevé ou abaissé par l’association, qui avait gagné quelques conseillers municipaux, selon qu’elle avait affaire ou non à des propriétaires récalcitrants.

La gabegie fut dénoncée par un spéculateur en terrains, qu’une querelle avec ses complices avait fait écarter des opérations de la bande. Il cria, précisa. On fut bien contraint de faire agir la justice, qui, d’ailleurs, laissa échapper la plupart des coupables. Force cependant fut de frapper Hourdequin, qui fut condamné, ainsi que deux de ses subordonnés. L’affaire eut son écho à la Chambre, où Mauguin reprocha au gouvernement de n’avoir pas surveillé ses agents. « La justice, dit-il, s’est trouvée saisie par hasard. »

Ce procès fut l’occasion d’attaques passionnées contre l’administration de Rambuteau. Il les mérita certainement par l’insouciance qu’il avait montrée des tripotages qui se pratiquaient dans ses bureaux. Mais si, emporté par son désir de bouleverser le vieux Paris, d’éventrer les ruelles obscures et infectes et de percer des voies larges et régulières, il laissa voler autour de lui, il ne vola point. On peut même dire qu’il accomplit d’immenses transformations sans augmenter déraisonnablement les charges de la Ville.

Sous son administration, les alentours de l’Hôtel de Ville et des Halles, la Cité, furent déblayés du lacis tortueux des rues où le soleil ne pénétrait jamais, les boulevards nivelés et les boulevards extérieurs construits ; la sécurité des passants nocturnes fut accrue par l’installation du gaz dans les rues, et l’hygiène améliorée par la construction de cent vingt kilomètres d’égouts.

Certainement, le souci du bien public n’était pas l’unique mobile du pouvoir, lorsqu’il laissait ainsi à Rambuteau la bride sur le cou. Le dédale inextricable des carrefours, des culs-de-sac, des rues à angles capricieux formait la forteresse naturelle des insurrections populaires. La stratégie de la contre-révolution, qui avait projeté d’enclore de murs la ville révolutionnaire, voulait aussi la sillonner de routes militaires. Rambuteau avait donc trouvé en Thiers un auxiliaire empressé. Thiers avait eu ses voies stratégiques, Rambuteau ses grands travaux, la population un peu plus d’air (que d’ailleurs seules les classes aisées pouvaient payer, car elles refoulaient à mesure la population pauvre hors du centre de la ville), et les spéculateurs avaient fait leurs affaires.

Ils les faisaient partout, d’ailleurs, et les bureaux de l’Hôtel-de-Ville n’étaient pas l’unique endroit où s’exerçait leur pouvoir de corruption. Les Chambres avaient, cette année-là, adopté définitivement le tracé des grandes lignes de chemins de fer. Les demandeurs de concessions se pressaient autour