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les ouvriers de la maison Pauwels, constructeur de machines, qui ne faisaient qu’une demi-heure par jour, mais restèrent tous à l’usine.

Le chômage donnait du loisir aux ouvriers. Ce qu’ils faisaient, Proudhon va nous le dire : « Lorsqu’ils ont gagné trois francs, quatre francs, six francs, le besoin de se restaurer les conduit aux barrières : là, ils ne font pas bamboche, ce serait inexact ; ils mangent du veau et du pain, et boivent un litre à dix sous. Comme ils se réunissent pour faire cette ripaille, ils y passent la journée, n’ayant d’ailleurs rien à faire, chantant des chansons républicaines, et le lendemain se remettent au jeûne. Cinq sous, quatre sous, un sou même de pain leur suffit par jour. L’estomac bientôt délabré par ce régime, ils gagnent une affection de poitrine et vont mourir à l’hôpital. »

Dans la même lettre, Proudhon observe, que « leur exaltation révolutionnaire est aujourd’hui voisine du désespoir ». Mais le pouvoir est fort : « ils savent qu’ils ne peuvent se soulever aujourd’hui sans être massacrés par milliers ». D’autre part, « la promesse qu’on leur fait de les employer bientôt les retient ». Proudhon parle encore de leur « violence enragée, entretenue par la misère où ils se voient, l’incurie des gouvernants et les interminables déclamations des hommes qui se disent républicains ».

A ce trait, comme à celui où il les montre n’aimant « ni Laffitte, ni Arago, ni tous les réformateurs de journaux ou de tribune », on aperçoit que les ouvriers vus par Proudhon appartenaient à la minorité des révolutionnaires qui avaient fourni leur contingent aux journées de 1832, de 1834 et du 12 mai précédent. Lorsqu’il aperçoit, « parmi eux, des mouchards, des traîtres », dont ils se débarrassent en leur tordant le cou et les jetant à la Seine, nous sommes avertis suffisamment : nous savons qu’il parle de l’élément révolutionnaire, et non de la classe ouvrière moyenne, prise en masse. Les faits d’ailleurs ne vont pas tarder à nous en donner la preuve.

Ces ouvriers si endurants, et solidaires dans leur détresse au point de se partager, au lieu de se le disputer, le morceau de pain qui leur est laissé, qui pense à eux, à défaut des représentants du pouvoir ? L’Église ? Oui. Villermé nous la montre leur envoyant des « précepteurs religieux » qui se sont emparés de la classe ouvrière « par l’intérêt véritable et affectueux » qu’ils lui ont montré. Et après nous avoir dit cela du plus grand sérieux, l’enquêteur, qui sait à quoi s’en tenir, nous avertit qu’« ils peuvent, comme le dit M. Guizot, s’appliquer à détacher de la terre sa pensée, et à porter en haut ses désirs et ses espérances pour les contenir et les calmer ici-bas ». C’est Villermé qui souligne.

Mais cela ne suffit pas à calmer l’angoisse de ceux qui ont des yeux. Lamartine, qui est de ceux-là, voit la classe des prolétaires « aujourd’hui livrée à elle-même », prête à remuer « la société jusqu’à ce que le socialisme ait succédé à l’odieux individualisme ». Ce n’est pas une conviction socialiste que le poète exprime, mais une crainte de conservateur avisé. Il constate que