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essais de réalisation. À mesure que le temps passera, la pensée de Fourier grandira dans l’esprit des hommes. Nous qui en recueillons aujourd’hui le fruit, tout en méconnaissant trop souvent le tronc vigoureux qui le porta, de quel droit aurions-nous des dédains ou des ironies pour les fumées capricieuses du cratère sans cesse en éruption, sans cesse en production ? Sublime maniaque, il a jeté les idées avec la prodigalité du génie. Les scories et les bavures ont été mises en poussière par le temps, qui se charge de détruire tout ce qui nous est inutile. Mais il nous reste de lui : la série, cette notion supérieure de la division du travail fondée sur la liberté : l’émancipation de la femme, fondée sur sa libération familiale et économique ; la coopération, où le socialisme français commence à apercevoir l’école pratique d’administration qui lui manquait, et où il verra demain un des plus puissants moyens d’émancipation des prolétaires par leur effort autonome.

Il a cru à l’individu, grandi par la force de l’association, au point de tout accepter de lui, le bien et le mal, les passions constructives et les passions destructives. Il a cru à l’accord de l’instinct et de la raison, se fiant à la raison pour utiliser la passion, à l’expérience en liberté pour former la raison. Ce robuste optimisme est en somme moins faux que la notion catholique de la déchéance humaine et le dogme de l’imperfectibilité. Moins faux, donc plus fertile, sinon en résultats immédiats, du moins en recherches et en audaces libératrices.



CHAPITRE IV

LA COALITION


Les élections de 1837 et les deux coalitions. — La discussion sur les chemins de fer. — Rejet du projet de conversion de la rente. — Le complot Huber ; condamnations. — Évacuation d’Ancône. — Refus des sacrements au comte de Montlosier. — Progrès de la propagande cléricale. — Le ministère est battu, c’est la Chambre qui s’en va. — « La corruption coule à pleins bords ». — Victoire électorale de la coalition Thiers-Guizot et crise ministérielle de deux mois.


La campagne électorale de 1837 fut tout particulièrement animée, l’opposition de gauche ayant réussi à unifier ses efforts. Sur l’initiative de Dupont (de l’Eure), d’Arago et de Laffitte, en effet, il s’était formé un comité démocratique qui était entré en pourparlers avec l’opposition dynastique, représentée par Mauguin, le maréchal Clauzel et Salverte. Les libéraux montraient une certaine répugnance à s’allier publiquement aux démocrates, dont la politique était alors synonyme d’émeute et de guillotine. L’intérêt cependant fit taire les scrupules dynastiques. Pris entre le gouvernement personnel du roi et l’éventualité d’un triomphe lointain de la démocratie, ils coururent au plus pressé.