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ment ». On comprend sans peine que le nouveau pouvoir ait peu goûté l’expédient et qu’il ait tenu à faire, au contraire, de la garde nationale une milice essentiellement bourgeoise. Les ouvriers n’en furent pas moins cruellement ulcérés, plus encore que lésés, par cette insultante éviction.

D’autre part, bien loin de chercher à calmer l’effervescence, le gouvernement fit une fausse manœuvre qui ressemblait singulièrement à une provocation.

En accordant à l’Imprimerie royale une certaine somme pour les réparations à faire, le ministère donna l’ordre d’imprimer au Bulletin des lois l’ordonnance dans laquelle se trouvait spécifiée la réparation des presses mécaniques brisées dans la matinée du 30 juillet. Les ouvriers, disent les journaux, se refusèrent à imprimer cette ordonnance et quittèrent les ateliers. Une réunion fut tenue le 3 septembre à la barrière du Maine, à laquelle prirent part quinze à seize cents ouvriers imprimeurs : ils s’engagèrent à ne pas travailler dans les maisons qui employaient des presses mécaniques.

Une commission ayant été nommée par cette réunion à l’effet de percevoir les cotisations et de représenter les ouvriers, le Moniteur annonça des poursuites « contre les signataires d’un écrit dans lequel le fait de coalition a paru positivement exprimé ». Ce ne fut pas l’avis du tribunal qui, le 14 septembre, acquitta les treize « commissaires » dont voici les noms : Roget, Carré, Sainte-Anne, Domeri, Champion, Genuyt, Hy, Dauzel, Possel, Valant, Devienne, Cruché, Lamey.

Fermement attaché au principe de la non-intervention directe dans les relations entre les employeurs et les ouvriers, Benjamin Constant proposa comme remède à la crise l’abrogation du monopole de la librairie et de l’imprimerie. Il était connu, en effet, que déjà, rien qu’à Paris, douze imprimeries existaient sans privilège. Toute la presse libérale appuya l’initiative de Benjamin Constant. Un renfort inespéré lui vint d’Angleterre, où les sociétés typographiques ouvrières protestaient contre le bris des machines et disaient bien haut qu’il suffirait de diminuer les charges pesant sur l’imprimerie, droits de timbre, frais de poste exagérés, pour augmenter immédiatement la production.

Les journaux libéraux et républicains, notamment le Globe et la Tribune, s’attachaient à réduire l’importance de cette agitation ouvrière. Parlant de la misère des ouvriers et de leurs réclamations, la Tribune, s’adressait aux gens au pouvoir :

« Nous vous avons indiqué comment vous pouviez les satisfaire sans dépenser un sou, et en augmentant même les revenus de l’État, par l’abolition du monopole et des privilèges industriels ; et, quand vous avez refusé, quand votre aveuglement vous a forcés à ne voir plus qu’en eux un moyen de vous défendre contre eux-mêmes, nous nous sommes adressés au patriotisme si puissant sur leur âme, nous les avons conjurés de ne pas ternir sur le front de la patrie la gloire de leur triomphe. Frappés de ce langage, ils se sont dit : Puisque ceux qui marchaient avec nous le 27 juillet, blâment aujourd’hui notre marche, nous ne sommes pas dans la bonne route, et ils se sont arrêtés ; et, toujours patriotes et généreux, ils ont fait taire leurs souffrances devant l’intérêt public. »