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ront « quand le peuple, mais le peuple entier, mais le peuple qui se compose des bourgeois et des prolétaires (ne les séparons pas, puisqu’ils sont tous Français), quand le peuple croira qu’il est temps de destituer un pouvoir qui usurpe et qui conspire contre sa liberté. »

Le jury acquitta les vingt-sept. Mais le pouvoir voulait en finir avec cette propagande républicaine, socialiste et révolutionnaire : de là la loi sur les crieurs publics, en attendant un remaniement de la loi sur les associations qui se préparait au ministère.

Lorsque fut mise en discussion cette loi qui allait frapper les crieurs de journaux, dont la plupart étaient en même temps d’ardents propagandistes, un journaliste républicain, Rodde, qui dirigeait le Bon Sens avec Cauchois-Lemaire, annonça hautement son intention de protester publiquement contre l’attentat qui se préparait contre la liberté de la presse. Il était d’autant mieux qualifié pour élever sa protestation que, dans son journal, il s’attachait plus à instruire les travailleurs qu’à les pousser aux barricades.

Un dimanche, ainsi qu’il l’avait publié, il s’installa sur la place de la Bourse et se mit à crier les titres de brochures saisies les jours précédents. La foule lui fit un succès énorme. On l’acclamait aux cris répétés de : Respect à la loi ! Vive la liberté ! La police n’osa pas l’inquiéter, mais l’affluence était si grande qu’il dut se réfugier dans une maison. La loi n’en fut votée qu’avec plus d’entrain par les Chambres.

Cette affaire eut un épilogue. Cabet, dont le journal le Populaire exerçait une influence énorme dans les milieux ouvriers, avait publié de véhéments articles contre la loi. Le Populaire tirait à 27.000 exemplaires et publiait chaque dimanche une brochure. Il fallait briser cette force d’autant plus dangereuse que les conseils de modération donnés par Cabet étaient très écoutés par les républicains. On prit prétexte d’outrages à la Chambre pour suspendre l’immunité parlementaire et le faire condamner à deux ans de prison, quatre mille francs d’amende et deux ans d’interdiction des droits civils et politiques. « Cela nous en débarrassa », dit cyniquement Dupin dans ses Mémoires.

Cabet eût préféré aller en prison. Ses amis réunis chez le général Thiard, insistèrent auprès de lui et, invoquant l’intérêt du parti républicain, le supplièrent de garder sa liberté. Il partit donc pour la Belgique. Mais il y était à peine, que la Gazette de Francfort, alors au service de la « haute police internationale », selon l’expression de Félix Bonnaud, le dénonçait en ces termes au cabinet belge : « La République se réfugie de Paris à Bruxelles ; mais on ne l’y laissera pas. » Cabet fut, en effet sommé de partir dans les vingt-quatre heures et dut se réfugier en Angleterre.