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charges et des jouissances sociales ». Une autre brochure disait que « le gouvernement du peuple par le peuple, c’est la République » ; et « avec elle » on opérerait le « nivellement des fortunes », le « nivellement des conditions ». En conséquence, le peuple était invité « à extirper jusque dans ses fondements mêmes l’aristocratie qui s’est reformée sous la dénomination de bourgeoisie ».

Pour le premier anniversaire des journées sanglantes de Saint-Merri, la Société des Droits de l’Homme lança un manifeste brûlant qui débutait par ces mots : « Citoyens, l’anniversaire des 5 et 6 juin ne vous demande pas de vaines douleurs ; les cyprès de la liberté veulent être arrosés avec du sang et non pas avec des larmes. Pour un frère qu’on nous tue, il nous en vient dix, et le pavé de nos rues imbibé de carnage fume au soleil d’été l’insurrection et la mort… »

Ce manifeste, que des renseignements de police attribuaient à Cavaignac, se terminait ainsi : « Le gouvernement ne tend qu’à renfermer et resserrer les existences dans les limites que leur ont assignées les hasards ou les infamies de notre organisation sociale ; aux uns la richesse, aux autres la misère ; aux uns le bonheur oisif, aux autres la faim, le froid et la mort à l’hôpital. Les larmes ne sont pas pour nous, elles sont pour nos ennemis ; car après leur mort, il ne subsistera plus rien d’eux, qu’un souvenir de malédiction. Bientôt le bras du souverain s’appesantira terrible sur leur front ; alors qu’ils n’espèrent ni grâce ni pardon ! Quand le peuple frappe, il n’est ni timide ni généreux, parce qu’il frappe non pas dans son intérêt, mais dans celui de l’éternelle morale et qu’il sait bien que personne n’a le droit de faire grâce en son nom. — Salut et fraternité. »

Un aussi véhément appel, qui proclamait l’insurrection en permanence, reflétait-il la pensée de tous les républicains groupés dans la Société des Droits de l’Homme ? Non, puisque ceux qu’on appelait les Girondins et qui se groupaient autour de Raspail avaient la majorité dans le comité directeur. Mais il y avait une minorité remuante, impatiente de bataille, que Lebon représentait dans le comité. Le manifeste fut une transaction entre ceux-ci, qui voulaient organiser l’insurrection pour le 5 juin 1833, et les premiers, qui formaient l’ancien noyau des Amis du Peuple, et disaient avec Raspail : « Formulons nos doctrines de manière à ne repousser aucune conviction ; ne froissons pas les intérêts ; n’attaquons pas de front les préjugés, ménageons-les pour mieux les détruire. » Nous reviendrons sur ces querelles.

Le manifeste ne pouvait manquer d’attirer des poursuites sur la tête des républicains. Vingt-sept d’entre eux prirent place sur le banc des accusés dans le procès, qui dura du 11 au 22 décembre. Les plaidoiries furent si véhémentes, que trois des détenseurs, Dupont, Michel (de Bourges) et Pinard furent frappés de suspension par le tribunal. Dupont, plaidant pour Kersausie, commenta la déclaration de Robespierre sur la propriété et dit : « Le dix-neuvième siècle a une mission à remplir, c’est l’affranchissement moral et politique des prolétaires. »

Dans son plaidoyer, dont la forme était plus violente que le fond, Raspail déclara que les républicains travaillaient à convaincre la majorité. Alors, ils se lève-