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trine saint-simonienne dans un article-manifeste du 18 janvier, intitulé : Plus de libéralisme impuissant.

Il avait adhéré de tout son cœur et de toute sa fougue. Avec son ami Jean Reynaud, il partit pour une tournée de propagande dans le Midi. À Grenoble, où les catholiques se sont unis aux protestants pour les empêcher de parler, la foule des auditeurs est encore accrue par cette opposition. Jean Reynaud constate en ces termes le succès obtenu :

« Si nous avions une salle pour quatre ou cinq mille personnes, elle serait pleine. C’est comme une maladie, c’est comme une peste. Je crois qu’à la halle on ne cause que saint-simonisme. Ce matin, en demandant mon chemin à deux braves gens, qui heureusement ne me connaissaient pas, j’ai attrapé une grande histoire sur les saint-simoniens qui vont, comme Pierre l’Ermite, pour faire une croisade. »

Déjà, en janvier, Pierre Leroux avait obtenu un succès semblable en Belgique, où il s’était rendu avec Hippolyte Carnot, Dugied, Margerin et Laurent. Mal reçus à Bruxelles, les catholiques ayant soulevé contre eux la population, ils allèrent à Liège, où le recteur de l’Université mit une salle à leur disposition.

D’après un récit du mathématicien Joseph Bertrand, son ami de jeunesse, « bien qu’il fût veuf alors, avec cinq enfants, et absolument sans fortune, » Pierre Leroux « séduisit si bien par sa parole une jeune Belge et sa famille, qu’il ne tint qu’à lui de faire un très brillant mariage. Les parents n’y mettaient qu’une condition : Étant catholiques, ils désiraient que leur fille se mariât à l’église. — Pierre Leroux hésita quelque temps, fut très peiné, paraît-il, mais finalement refusa, déclarant que ses convictions philosophiques et religieuses ne lui permettaient pas de concession semblable, et il revint à Paris. »

Partout où ils passaient, les saint-simoniens créaient une église, c’est-à-dire un groupe constitué selon la doctrine sociale et religieuse, organisé hiérarchiquement et reconnaissant l’autorité de Bazard et Enfantin, proclamés à la fin de 1829 chefs suprêmes de la doctrine. Mentionnant l’activité de la propagande, dans le Nord, dans l’Est et dans le Midi, Enfantin écrivait à une correspondante en juin 1831 : « Vous voyez que nous n’y allons pas de main-morte. Comment pouvons-nous exécuter toutes ces choses ? Il y a de bonnes âmes qui disent déjà que c’est La Fayette qui nous paie, d’autres Napoléon II, d’autres Henri V ; qu’il est impossible que nous fassions tant de bruit avec nos bêtises si quelqu’un, la police peut-être, ne nous soudoie pas. »

Et, de fait, l’église avait de grands frais. Le Globe était distribué gratuitement. « Comment, poursuit Enfantin, de pauvres garçons comme nous ont-ils pu, en un an, depuis juillet, propager avec tant d’ardeur, et partout, des rêves ? Où trouvent-ils l’argent nécessaire pour vivre, voyager, publier des ouvrages, des journaux qu’on lit peu (disent-ils), qu’on achète moins encore ! »

Où ? Le rapport d’Eichthal sur la situation financière du 22 septembre 1830 au 31 juillet 1831 nous donnera une idée des ressources dont l’association saint-simonienne jouissait au début de sa propagande publique. L’acquisition du Globe,