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Mais, parmi ces étendards et ceux des sociétés populaires, en surgit un autre, qui lui suggère cette remarque : « On voyait dans le nombre des drapeaux de toutes couleurs un drapeau rouge avec cette devise : la liberté ou la mort ». Ce drapeau, dit Louis Blanc, était porté par un inconnu à cheval, coiffé d’un bonnet phrygien. La Fayette estime que cette apparition eût été convenable avant 1793, mais « à cause des souvenirs » cela « devenait inconvenant ».

Mais écoutons ce récit d’un témoin bien placé pour voir ce qui se passa à ce moment décisif : « Lorsque, dit La Fayette, ce drapeau s’est approché du cercueil, il est sorti de je ne sais quelle poche un bonnet rouge qu’on a placé au-dessus du drapeau. Comme il passait devant l’estrade où nous étions, quelques couronnes lui ont été jetées, quelques-unes par des étrangers pour qui ce n’était qu’un symbole de liberté, une autre qui pourrait bien avoir été un tour de police. J’avais encore à la main une couronne que je m’étais aperçu avoir été mise sur ma tête ; je la jetai en témoignage de dissentiment et de dégoût pour ce qui se passait. »

Au même instant, et comme si l’apparition du drapeau rouge avait été un signal, la cavalerie parut et tenta de disperser l’attroupement, non sur le point où avait surgi cet emblème, mais sur la foule massée assez loin de là, près de l’Arsenal.

Les manifestants huent les dragons qui s’avancent, bousculant et foulant les premiers rangs de cette masse pressée. On leur riposte par une grêle de pierres. Ils chargent. Des coups de feu éclatent. Leur commandant tombe, frappé à mort. Ils s’enfuient. Une clameur de triomphe s’élève, les manifestants se transforment en insurgés, la flamme révolutionnaire gagne toute la ville.

Tandis que l’Arsenal est forcé d’ouvrir ses portes, les insurgés enlèvent, sur la rive gauche, la caserne des Vétérans et la poudrière des Moulins. D’autres bandes enlèvent le poste du Château-d’Eau et se fortifient dans les inextricables rues du vieux Paris dont l’Hôtel de Ville est le centre. Cependant, le pouvoir, qui a prévu une journée et consigné les troupes, fait venir des régiments de Vincennes, de Courbevoie, de Rueil, qui délivrent la Banque au moment où l’insurrection va s’en emparer.

À la cour et dans le conseil, le désarroi est grand. On sait que l’insurrection est maîtresse de toute la partie de Paris qui va de la Bastille aux Halles. On craint de faire donner la garde nationale. Soult se demande si les soldats, vaincus il y a deux ans par une insurrection qui a créé le nouveau pouvoir, oseront marcher contre celle-ci. Déjà, certains proposent que la famille royale se retire à Saint-Cloud.

Mais tout le monde ne perd pas la tête. Dès le premier moment, Thiers s’est transporté à l’État-Major de la garde nationale, où il va s’exercer au rôle de général en chef qu’il jouera dans les grandes guerres civiles du siècle. Il ranime les courages en montrant la faiblesse réelle du parti républicain, dont aucun des chefs n’est avec les émeutiers ; il préside à la distribution des cartouches aux gardes nationaux, qu’il harangue avant de les envoyer au feu.

La garde municipale et les troupes ont repris les positions de la rive gauche. Sur la rive droite, l’armée a bientôt enfermé les républicains dans la rue Saint-