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Henri Heine, parlant de ce président imposé par le ministre, dit qu’il était « le dévouement même », et note qu’il eut « l’art de bien servir les intérêts du roi par l’abréviation ou la prolongation des séances ». Le portrait qu’en trace le critique n’est pas flatté, mais combien expressif au physique et au moral : « C’est un homme ramassé, qui a l’air d’un Brunswickois vendant des têtes de pipes dans les foires, ou bien encore d’un ami de la maison qui apporte des croquignolles aux enfants et caresse les chiens. »

Louis-Philippe avait lu le discours de la couronne, le 23 juillet, devant les Chambres assemblées. Les débats de l’adresse s’engagèrent à la Chambre et l’opposition y déploya toutes ses ressources, accumulant les amendements. Ce qu’était le discours, le caractère de Casimir Perier qui l’avait rédigé peut en donner une idée. Le pouvoir trouve que tout est pour le mieux. S’il y a du chômage, la faute en est à ceux qui agitent le pays. Les armements sont lourds, mais une politique pacifique pourra permettre une jour de les réduire.

Ce discours fut refait dans le Globe. Supposant un monarque éclairé par la pensée de Saint-Simon, le rédacteur fait parler le roi ainsi : « Mes relations avec les souverains étrangers vont changer de caractère ; je vais réclamer d’eux que toutes les formes mystérieuses des chancelleries soient abandonnées… L’Angleterre et la France continueront à exercer sur tous les peuples une surveillance émancipatrice, et à les pousser tous dans la voie pacifique. »

Le rédacteur saint-simonien, sous le couvert de ce discours supposé, trace le plan d’un accord entre l’Angleterre, la Prusse et la France pour interposer cette « irrésistible influence là où il y a des glaives tirés, là où d’autres glaives s’aiguisent ». À la « voix pacifique mais ferme » de cette coalition libérale, « l’Italie respirera, l’héroïque Pologne recueillera le fruit de sa sublime résistance ; l’Europe sera en paix, et le tsar épanchera le flot de ses soldats vers l’Orient qu’il brûle de conquérir et que nous lui donnons mission de civiliser. » On sait comment l’autocrate russe s’est acquitté, depuis, de la « mission » que lui confiaient imprudemment les disciples de Saint-Simon, et la Chine n’est pas près d’oublier les atroces noyades de Blago-vetchenk, non plus que le monde comment il s’est fait battre sur terre et sur mer par un peuple d’ « idolâtres » subitement surgi en pleine civilisation.

Le Globe poursuit sa fiction d’un roi converti au saint-simonisme. « Le but de la législation, lui fait-il dire, ne doit pas être de punir un coupable ou de venger la société, mais d’améliorer, par une initiation quelquefois rigoureuse, un malheureux que la société a laissé sans éducation, sans guide, sans patronage. Mon ministre de la Justice vous proposera l’abolition de la peine de mort, de la marque, de l’exposition, des bagnes et de la contrainte par corps. »

Le roi est censé proposer ensuite, comme remède à la crise économique, une « organisation industrielle au sein de laquelle les efforts isolés et rivaux aujourd’hui seront reliés et combinés de manière à maintenir toujours l’équilibre entre la production et la consommation, c’est-à-dire entre les forces créatrices du travail et les besoins des travailleurs ».