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nistère faillit être mis en accusation ; le procureur général voulait qu’on exécutât, à la place du prisonnier, sa femme. M. Decazes, dont la suffisance ne pouvait cependant pas triompher en cette occasion, multiplia les démarches. Toutes furent vaines. Pour trouver le fugitif, il eût fallu l’aller quérir rue du Bac, dans le propre hôtel de M. de Richelieu, qui était celui des Affaires étrangères alors situé là… C’est là, qu’à l’insu du ministre, l’avait conduit l’amitié puissante de la princesse de Vaudemont. Sur cette tragicomédie finit l’année 1815.


CHAPITRE V


ÉTAT MATÉRIEL ET MORAL DE LA FRANCE


État de la France. — L’œuvre sociale de la Restauration. — L’enrichissement légal de la bourgeoisie. — La classe ouvrière. — Mesures favorables et mesures hostiles. — La situation financière. — L’origine du droit parlementaire. — L’éloquence parlementaire.


Au moment où, par le licenciement de l’armée et les coups répétés de ce que fut sa justice, la Restauration est maîtresse incontestée de la France, il est bon de supputer la situation matérielle et morale de ce pays, et comment essaya d’y faire face le régime nouveau. La France avait été ébranlée jusque dans ses profondeurs par l’Empire. Les guerres l’avaient vidée d’hommes et d’argent, et cet éclatant réservoir de virilité et de richesse était à peu près tari. Rien que l’état des dépenses exigées par la guerre et la double invasion montait à 2 486 643 531 francs de cette époque. Et la seule ressource à peu près nette que le pouvoir fût sûr de trouver sous sa main, c’était l’impôt foncier produisant seulement 1 520 millions.

Du premier coup, heureusement, la Restauration avait découvert l’homme de finance qui allait être le véritable fondateur du système financier encore respecté. C’était M. Louis, ancien abbé, ancien membre de la Cour des comptes sous l’ancien régime. Il eut le mérite de comprendre que le système financier d’un régime constitutionnel ne peut ressembler au système d’une monarchie absolue comme celle dont sortait la France. Il établit le budget, fit connaître les dépenses, les recettes, entoura de publicité les comptes, veilla à ce que l’allocation des crédits fût respectée par la main chargée de leur emploi. Mais ce n’était là qu’une proclamation théorique, et il fallait payer : il fut d’une rigueur extrême et qui ne parait que juste. Ayant appris que la maison du comte d’Artois avait dilapidé la caisse où se trouvaient les millions que Napoléon traînait dans ses fourgons, il déclara que c’était là une caisse publique, et, plus encore pour l’exemple que pour le profit, fit restituer le larcin. Il « leva un emprunt » (16 août 1815) en ce