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On pense si ce décret, revêtu de la griffe de Fouché, jeta l’épouvante et l’émotion dans l’armée, où d’illustres têtes se sentaient marquées. Toutes les colères se retournèrent d’un coup contre Davoust. À quoi lui avait servi de livrer Paris, d’en chasser l’armée, de trahir l’empereur ? Il avait obtenu, verbalement, des assurances qui maintenant se transformaient en menaces : il ne pouvait qu’accuser Fouché de l’avoir joué. Mais lui-même, pourquoi s’était-il si aisément livré aux scélératesses empressées de l’homme néfaste dont, depuis vingt ans, il connaissait la moralité ? Intelligence ouverte et caractère avili, Davoust ne put que s’exécuter lui-même et disparaître par la démission d’une armée qu’il avait commandée pour la livrer tout entière, digne d’apparaître au même niveau que Marmont devant l’histoire. On le remplaça par Macdonald. Macdonald acheva l’œuvre commencée par Davoust, qui était le licenciement : il disloqua l’armée avant de la dissoudre, et peu à peu celle-ci s’égrena, se dilua, se dissipa : elle avait atteint, au moment de sa dispersion, à près de 160 000 hommes.

Satisfaits des poursuites ordonnées par le roi, satisfaits de la hâte avec laquelle tombait chaque jour l’inutile feu d’une armée lointaine, sûrs de cette France, dont chaque kilomètre carré supportait leurs pas, les alliés avaient cependant fini par se détendre : non que la générosité leur fût venue, mais, par l’éternelle fissure de l’intérêt, Talleyrand avait pu pénétrer dans la coalition. Démembrer la France, c’était bien. Mais qui devait emporter les plus riches dépouilles ? La Prusse et l’Autriche. Or l’Angleterre, nantie déjà par le traité de 1814, n’avait pas à gagner, au contraire, à l’accroissement territorial de ses alliés. Et la Russie, à laquelle son éloignement géographique ne pouvait pas permettre d’accaparer un tronçon de la France, n’avait pas d’intérêt à rendre puissantes la Prusse et l’Autriche. Vaguement Alexandre sentait que sur cette pauvre terre mutilée il devait et pouvait s’appuyer. La rencontre de ces appétits contraires sauva la France du démembrement initial dont Metternich avait été le plus intransigeant avocat. Et voici l’ultimatum arrêté par les puissances :

« Le canton et la place de Condé, les territoires et les places de Philippeville, Marienbourg, le canton et la place de Givet, les places et territoires de Sarrelouis et Landau seraient cédés aux Pays-Bas et aux États allemands : le fort de Joux, à la Confédération helvétique ; celui de l’Écluse, à la Sardaigne qui rentrerait en possession de toute la Savoie ; la France retirerait la garnison de Monaco ; les fortifications de Huningue (qui avait résisté jusqu’au dernier jour) seraient détruites. La France paierait 600 millions de contribution de guerre, 200 millions pour reconstruire des forteresses opposées aux siennes. Enfin 150 000 hommes de troupes alliées, payées par elle, occuperaient dix-huit places fortes pendant sept ans. » Talleyrand protesta, en vain, qu’il n’y avait pas eu de conquêtes. Les puissances persistèrent et, sans doute, Talleyrand vaincu allait se résigner à signer, quand, par un événe-