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de Montmirail, de Waterloo, auraient été capables de garder à la France ses frontières naturelles et au-dedans ses droits.

Il avait, au contraire, la haine et la terreur de cette Révolution, si justement dure aux chefs militaires, l’horreur de tout ce qui prenait même la pâle figure de la liberté, l’horreur du parlementarisme, et combien de fois ne flétrit-il pas les « idéologues », les « bavards », les « jacobins » ? Aux Cent Jours, par ruse politique, il accepta des institutions semi-libérales, mais vainqueur, il les eût balayées. Il avait dans l’oreille, comme une obsession douloureuse les cris « À bas les prêtres ! À bas les nobles ! » que de Grenoble à Auxerre il avait entendus en revenant.

Quand Carnot lui proposa la levée en masse, il refusa, aimant mieux se priver de l’ardent élan du peuple que d’emprunter à la Révolution une de ses mesures. Depuis la défaite, les acclamations de ce peuple qui voyait en lui le seul homme capable de refouler l’invasion et avec elle les nobles, le touchèrent à peine. Il ne leur fit pas appel pour les jeter sur le Parlement rebelle, non par amour de la liberté, mais par dégoût de l’instrument populaire : le peuple ne lui pouvait apparaître que sous la livrée éclatante des batailles. Il attendait tout des baïonnettes, rien des bras nus et libres. Hors l’armée il n’y avait pour lui que « la canaille » et il aimait mieux la chute qu’une pareille élévation.

Ce qui frappe le plus, après l’éclat, c’est le vide de cette œuvre, gigantesque par les moyens et nulle par le but : il ne s’agit pas seulement de juger le résultat. C’est le but poursuivi qui doit inquiéter, et s’il fut grand et noble, encore qu’il ne fût pas atteint, l’histoire en tient compte. Qu’a-t-il voulu ? On saisit les excès de sa volonté, on n’en saisit pas le désir. Il a tendu tous les ressorts de son être vers le commandement, la domination, l’absorption des autres hommes.

Tout, pour cela, lui a été bon. Il a — par un mensonge religieux et politique — relevé les autels, qui d’ailleurs n’étaient pas abattus. Est-ce par intérêt pour la religion ? Non pas. Au cours des discussions sur le Concordat il parlait, pour faire céder l’Église, de rendre la France protestante ; après, quand le clergé glissa de ses mains, il l’avilit en la personne du pape et montra que ce qu’il avait voulu faire du prêtre — c’était un instrument politique.

De même pour l’instruction publique où il n’a vu dans le monopole universitaire, c’est-à-dire dans le droit naturel et éminent de l’État, qu’un moyen de compression pour les esprits. Il ne voulait que tenir les âmes par une gendarmerie sacrée, les cerveaux par une gendarmerie intellectuelle, les corps par une gendarmerie armée. Et dans quel but ? Son grand rêve fut de devenir l’empereur d’une confédération européenne, de rejeter le tzar en Asie, de refaire à ses pieds l’empire de Charlemagne. Mais cela, dans quel