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nait au libéralisme, surtout, si on comparait ses conceptions à celles de son entourage. C’était autour d’une question de forme que se livrait toute cette bataille… et nul ne savait qui l’emporterait, du Sénat, ou du roi, quand Alexandre intervint.

La main habile de Talleyrand avait détaché cet ambassadeur formidable au roi nouveau. Le premier ministre, qui avait besoin, pour couvrir ses anciennes trahisons de garanties présentes, ne se serait jamais contenté de quelque promesse, même souriante. Il aimait mieux une précaution constitutionnelle qu’un compliment protocolaire. Il avait pu intéresser le tzar, en le prenant par où se laissent saisir la plupart des hommes, et les plus puissants, par l’amour-propre, en le suppliant de ne pas laisser détruire, par un mouvement d’humeur, l’œuvre de l’Europe. Flatté d’être cet arbitre souverain, Alexandre accepta. Il trouva au château de Compiègne un vieillard changé physiquement, mais tenace jusqu’à en être indomptable. Et ce fut le vieillard goutteux qui triompha par la ruse du splendide et glorieux empereur. Il revendiqua le triple droit de s’appeler roi de France et de Navarre, de dater de la dix-neuvième année de son règne, c’est-à-dire de la mort de Louis XVI, ce régime nouveau, de promulguer lui-même la Constitution pour lui donner l’origine royale et lui enlever le sceau sénatorial.

L’empereur céda. En réalité, il cédait sur un principe, et non sur une formule. Permettre cette rétroactivité du règne, c’était biffer d’un trait de plume dix-neuf années, la Convention, le Directoire, le Consulat, l’Empire et déchirer l’histoire de la France au profit de l’histoire de la royauté. Dépouiller le Sénat du droit de promulguer la constitution, c’était briser l’initiative constitutionnelle dans la nation pour la restituer au roi. Mais le Sénat l’emportait sur les promesses que contenait la Charte. Le roi enfin la signait, et le 2 mai elle était promulguée.

En même temps le roi entrait à Paris. Près de lui, tous les princes de la maison de Bourbon, et la duchesse d’Angoulême se tenaient. Seule, la fille de Louis XVI attestait par son attitude que les souvenirs sinistres n’avaient pas cessé, même dans la joie, de hanter son cerveau. La même adulation bruyante montait vers le souverain affaibli, infirme, vieilli, qu’une calèche découverte traînait à Notre-Dame, devant la statue relevée de Henri IV, enfin aux Tuileries. Les maréchaux de l’empire formaient un cortège éclatant à « la dynastie la plus ancienne du monde » comme avait dit à Compiègne Berthier, qui fût demeuré sous-officier sans une autre dynastie plus récente.

Entre quels mains le sort de la France venait-il d’être remis ? Le roi Louis XVIII accédait au trône à soixante ans, affaibli, malade, rivé presque à la tombe par les infirmités implacables qui martyrisaient son corps. Mais, même en un corps torturé par la maladie, une âme forte peut survivre sur laquelle le malheur vient plier. Or, ce n’était pas le cas. C’est en vain que la presse du temps, n’ayant que la liberté de la louange, le représentait « avec une