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retraite de Russie, pour le ravir aux mains des Cosaques. C’était la même préparation donnée — dit-on — à Condorcet. Celui-ci en était mort, peut-être Napoléon n’avait pas encore épuisé son destin.

Le 13 avril, le traité fut ratifié. Napoléon n’était plus qu’un otage aux mains des alliés, un otage sur cette terre ravagée par sa gloire désastreuse, un otage dans ce palais où l’année auparavant il avait placé le pape dont la faiblesse temporelle devait sourire au loin du naufrage complet de cette force déchue. De mortelles journées, il n’entendit sur les dalles que le bruit répété et saccadé de sa démarche. En vain, il prêtait l’oreille au moindre bruit, attendant quelque ami de l’infortune qui lui fût encore attaché. Sauf Macdonald, Caulaincourt, Bassano, tous les généraux glorieux étaient allés prosterner leur prestige aux pieds des alliés, attendant la venue du maître nouveau.

L’empereur sentit-il à cette heure la vanité de l’œuvre de gloire ? S’aperçut-il que l’expiation vient toujours à qui dégrade l’homme pour en faire un esclave et qu’on ne peut attendre d’un courtisan les sentiments de fierté et de noblesse qu’on eût châtiés d’ailleurs s’ils se fussent montrés ?… Enfin, le dernier jour vint. Il réunit la garde, lui parla, entendit les sanglots de ces hommes qu’il avait traînés, sans autre salaire que la mitraille, dans tous les carrefours de l’Europe, et qui lui montraient un cœur ému quand les puissants lui montraient un cœur glacé. Nouvel Œdipe, mais qui avait le pouvoir de contempler sa chute, il partit. La traversée du centre de la France raviva ses douleurs par l’espérance qu’il conçut, devant le respect des foules, d’un soulèvement. La chaude atmosphère du midi lui réservait les ardentes colères : il fallut, pour le protéger, dans toute la vallée du Rhône, l’affubler d’un uniforme anglais. À Fréjus, port d’embarquement, sa grandeur foudroyée retrouva de tardifs égards : il partit pour l’île d’Elbe. Sur ce point perdu dans la profondeur des flots, il devait enfermer ses regrets, ses remords, ses ambitions. Là, au moins, il était près de la terre natale, enveloppé du même climat, traité encore en souverain, libre au moins de contempler l’horizon et d’abriter sur un rocher que son orgueil pouvait comparer à un piédestal le rêve grandiose et monstrueux d’une restauration.



CHAPITRE II


LES FAUTES DE LA PREMIÈRE RESTAURATION


L’arrivée du comte de Provence. — Déclaration du 6 avril. — La charte. — Profils royaux. — Les fautes commencent. — Contre les paysans. — Le général Dupont et l’armée. — Le congrès de Vienne. — Bonaparte quitte l’île d’Elbe.


Nous avons laissé le Sénat proclamer le premier avril la déchéance de son maître et nommer un gouvernement provisoire dont le chef naturel, en