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ham pour leur recommander de ne pas ordonner le moindre mouvement de troupes.

Les plénipotentiaires arrivent à minuit au palais de la rue Saint-Florentin. Leur vue achève de glacer d’épouvante les ambitions qui se repentent d’une explosion prématurée. La nouvelle était venue du rapprochement de l’empereur qu’on croyait aux frontières ; on connaissait le nombre de ses soldats et on escomptait les coups du génie auquel le désespoir allait redonner l’audace si l’Empereur redevenait le maître. Les cocardes blanches disparaissaient et l’enthousiasme royaliste devenait discret.

Alexandre fit aux envoyés extraordinaires l’accueil qu’il devait. Macdonald, Ney, Caulaincourt exposèrent leurs raisons. Une émotion, une émotion feinte, sans doute, paraissait sur le visage du tzar.

Le tzar écoutait et feignait de promettre, n’osant s’engager, gagnant du temps, semblant attendre ; or, un moment, un officier russe arrive porteur d’un pli important :

« Messieurs, s’écrie le tzar, cette fois résolu, que me disiez-vous que vous parlez au nom de l’armée ? L’armée est divisée. Le corps du maréchal Marmont vient de passer du côté des alliés. Vous comprendrez que la situation n’est plus la même… »

Rien ne les retenant plus auprès du tzar, qui ne s’était pas engagé tant que la capitale nouvelle ne lui était pas venue, les maréchaux, frappés de la foudre, ressortirent. La terreur qu’imprimait aux visages la pensée que Napoléon pouvait encore se dresser avait disparu. La foule qui emplissait les salons était joyeuse. Ecrasés par l’infortune, les maréchaux passèrent… La comédie était jouée et se terminait à l’acte fatal de la défection. À qui fera-t-on croire qu’Alexandre ignorait les démarches de Talleyrand auprès de Marmont, la lettre du généralissime, la réponse du maréchal ? Il ne savait seulement ce qui adviendrait et si le plan de défection organisé sous ses yeux aboutirait. Voilà pourquoi, jouant son rôle, Alexandre hésitait : si les troupes de Marmont n’eussent pas été conduites à l’ennemi, il eût peut-être accepté la régence pour éviter le choc de l’empereur, redoutable, appuyé sur une armée reposée et entraînée. Mais pourquoi craindre un chef sans soldats ? Quand il apprit la défection, il se leva et congédia les envoyés de Napoléon… Cependant comment la destinée avait-elle réservé et frappé ce dernier coup ?

Nous avons vu que Marmont et les envoyés de Napoléon avaient quitté le quartier général d’Essonne vers les cinq heures et qu’avant de partir il avait recommandé au plus ancien divisionnaire qu’il laissait derrière lui, le général Souham, de ne pas modifier la situation des troupes. Après ce départ, Souham, Bordesoulle, d’autres se réunirent. L’idée leur vint que Marmont, après les avoir compromis la veille dans cette sorte de conseil de guerre où il les avait consultés sur la réponse à faire à Schwartzemberg, effrayé de