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subdivisés par la loi successorale qui autorise et impose même le partage entre des enfants égaux en droit n’étaient pas menacés par les procédés de culture, par une concurrence internationale qui fait tomber le sac de blé d’Amérique devant la porte du fermier qui s’apprête à expédier le sien. L’industrie était aux mains de petits industriels, et les ouvriers moins nombreux étaient isolés les uns des autres. À peine la vapeur commençait à soulever le couvercle, et l’espoir n’était à personne de la voir bouillonner, frémissante et dominatrice, à travers le monde. La forme de la propriété était individuelle, le travail était individuel, et il paraissait moins dérisoire qu’à notre époque de rappeler à l’ouvrier qu’il avait le droit théorique d’accéder à la propriété. Le machinisme n’était pas encore assez puissant pour servir le monde et asservir les hommes. Les grandes centralisations d’ouvriers qu’il a rendues nécessaires ne s’étaient pas formées, apportant à une classe d’hommes l’instinct de la solidarité. Les communications avec les pays voisins étaient trop difficiles pour que, de nation à nation, l’écho de l’oppression nationale éveillât la révolte internationale, Par conséquent, la propagande nationale ne pouvait pas encore faire lever dans l’immense sillon les germes de la justice.

Cependant, pour l’honneur de l’esprit humain, et comme pour bien montrer qu’il n’est pas asservi à la matière, des hommes d’élite, sans pouvoir encore appuyer leur conception à des réalités vivantes, mais les pressentant dans un avenir obscur, parlaient du droit social. Gloire à leur mémoire ! Ils ont tenu dans l’obscurité et dans l’ignorance le flambeau dont la flamme légère devait grandir, et ils l’ont sauvée de toutes les tempêtes !

En 1824, après que Louis XVIII fut mort, un autre homme défaillait à sa tâche surhumaine parmi de rares amis : c’était le comte de Saint-Simon. Après une vie mouvementée, soldat de l’Indépendance américaine, ingénieur dont les projets rebutent les États, spéculateur sur les fonds nationaux, ami de la Révolution, riche puis pauvre, puissant puis misérable, malade et recueilli sur un grabat par un domestique ancien, dégagé par cette main reconnaissante du labeur ingrat qui le faisait vivre, enfin, indépendant, studieux et noble philosophe, élevé par la force de sa pensée au-dessus de la terre, qui eut son corps quand nous avons sa mémoire, le comte de Saint-Simon a jeté sur le mouvement social de larges jugements. Il a fondé une philosophie, une doctrine, une école, et ses disciples plus heureux ont connu plus que lui l’admiration des hommes. Restant, par les mesures mêmes de notre histoire, au temps de la Restauration, cette doctrine n’exigera de nous que peu de mots, car c’est à d’autres, à ceux qui raconteront le développement qu’elle prit, qu’appartiendra davantage un droit dont nous ne voulons pas abuser.

Les conceptions sociales de Saint-Simon, répandues dans des livres nombreux, ne s’offrent pas à l’esprit avec une netteté et une simplicité