Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/254

Cette page a été validée par deux contributeurs.

attendaient. Une émotion sainte les soulevait dans ce combat pour le droit. Indifférents, à ne considérer que leur intérêt immédiat, à l’enjeu de la bataille, ces soldats désintéressés faisaient face à l’armée, cautionnant de leurs poitrines la liberté de la presse ravie, le droit électoral mutilé, le contrôle parlementaire anéanti. D’ailleurs, des combattants venaient de partout. Les anciens soldats de Waterloo, humiliés si souvent, appelés « les brigands de la Loire » par les revenants de Coblentz, avaient ressaisi d’une main raidie le fusil qui, meurtrier autrefois du droit des autres, allait s’ennoblir à la défense de la liberté…

Cependant l’armée, composée de 19 000 hommes, disciplinés, armés, commandés, opposait encore une force redoutable à ces impatiences. Soudain les rumeurs s’accrurent, une sorte de soulèvement, un mouvement profond se firent sentir. Un bruit à la fois sinistre et joyeux, qui appelait à la mort mais aussi à la liberté, retentit : le tocsin de Notre-Dame ébranlait les airs et, pour la première fois depuis quinze ans, le drapeau tricolore, aujourd’hui drapeau de la révolte, flottait. Ce fut le premier appel collectif et général. Des maisons, jusque là fermées, de nouveaux combattants sortirent. Ouvriers et étudiants, ouvriers surtout, désertèrent le travail quotidien pour la tâche ininterrompue des siècles qui réclamait leur sang. Les femmes montaient sur le haut des maisons des pavés, s’apprêtant à achever l’œuvre de mort et à lapider ceux que la fusillade aurait épargnés. Le tocsin, qui avait tant de fois appelé les âmes à la servitude, les appelait à l’émancipation. Et, s’il fut entendu, s’il suscita de nouvelles recrues pour la bataille des rues, c’est que jusque-là beaucoup, redoutant une manifestation sans lendemain, s’immobilisaient. Du moment que le mouvement était général, profond, qu’il s’agissait de briser le trône, toutes les natures réfléchies se firent enthousiastes, et beaucoup qui avaient marchandé leur bras à une œuvre provisoire pénétrèrent dans le combat, puisqu’on y pouvait mourir.

Marmont avait pris ses dispositions. Mais il se sentait envahi. Avec les minutes croissait sa responsabilité. Que faire ? Il ne voulut pas attendre que l’insurrection forçât ses cantonnements, et après avoir écrit à Charles X pour l’avertir du tour des événements et lui dire qu’il s’agissait d’une révolution, il donna les ordres : une colonne devait fouiller les Champs-Élysées, une autre se diriger vers la Porte-Saint-Denis, une troisième rejoindre la Bastille, la quatrième tâcher de toucher à la Madeleine. En même temps il écrivait encore à Saint-Cloud pour prévenir avec instance le monarque aveugle et sourd. Il reçut une réponse. Et quelle réponse ! Ordre donné par M. de Polignac d’arrêter : MM. Laffitte, général Gérard, général La Fayette, de Salverte, Marchais, Mauguin, Audry de Puyraveau… Quant à M. Casimir Périer, récemment décoré par le roi, il était épargné.

Il faut exécuter l’ordre et, si Marmont le veut, il le pourra de suite, car