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innombrables. Ce spectacle se vit, dont beaucoup sentirent leur cœur s’attendrir, d’hommes hâves, pâles, déguenillés, sanglants quelquefois, noirs de poudre, sans pain, monter une faction intrépide auprès de caisses emplies d’or. Chair meurtrie tous les trente ans par la mitraille des coups d’État, et quelquefois, dans l’intervalle, par la mitraille des guerres dynastiques, toujours prête à s’offrir aux coups, à saigner, à souffrir ! Ces journées à défaut d’autres feraient le peuple de Paris immortel.

Son courage, sa pitié, ses fureurs puissantes et ses larmes douloureuses, sa noblesse devant le malheur de ses ennemis, le mépris de sa pauvreté rançonnée pour la fortune opulente, ce n’est pas seulement par ces admirables traits qu’il s’offre au regard de l’histoire. À d’autres époques, il fut pareil, et chaque coin de rue, dans ce Paris tourmenté et tordu par les tempêtes, pourrait redire un récit héroïque ou touchant. Mais en 1830 le peuple fut le seul qui sut, comprit, vit le but, marcha. Les politiciens s’écartèrent de lui, les uns parce qu’une délicatesse raffinée s’effrayait de ce dur contact, d’autres parce que ce rude artisan du droit futur désertait, pour créer son œuvre, la légalité passée. M. Thiers, ses rédacteurs, ses amis, nombre de députés protestèrent, puis, sur une visite de la police, après avoir honorablement résisté, à la nouvelle d’arrestations, partirent pour une retraite isolée, cherchant la fraîcheur d’un abri contre cet été deux fois brûlant. M. Baude, du Temps, s’enhardit jusqu’à repousser, le code pénal à la main, le commissaire qui venait briser ses presses, jusqu’à ameuter le peuple autour du serrurier qui rivait les fers des forçats, le seul dont on pût obtenir les services. Les députés étaient introuvables. Quatorze à peine se réunirent chez M. Casimir-Périer. Pâle, incertain, nerveux, larmoyant, M. Casimir-Périer ne redoutait rien tant que les responsabilités. Pendant ce temps, sans la direction morale des journaux, sans l’aide des orateurs libéraux, le peuple agit. Seul, laissé à lui-même, il fut un profond politique.

La première journée, celle du 27 juillet, fut moins mouvementée qu’on ne l’aurait supposé. Marmont, à qui le commandement était échu, désireux de ne pas charger sa conscience d’un massacre, s’installa fortement sur la place du Carrousel et aux alentours. De là il pensait braver une émeute que la cour réfugiée à Saint-Cloud prenait pour une manifestation puérile, et que Marmont eut cependant la clairvoyance, dès les premières heures, de hausser aux justes proportions d’une révolution. Des gendarmes parcoururent les rues : on tira. Trois hommes du peuple tombèrent, premières victimes desquelles la vengeance allait descendre. La nuit fut formidable sous les étoiles.

Le lendemain, 28 juillet, un mercredi, le peuple presque tout entier fut debout. Sorties de dessous terre, construites pendant la nuit, des barricades innombrables coupaient Paris en fractions, en parcelles, en morceaux. Chaque quartier se subdivisait en plus étroites places où des combattants