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La Chambre se sépara au mois de juin 1829. C’était le moment attendu pour agir. Le prince de Polignac, mandé une fois encore par message secret, quitta son ambassade de Londres et revint à Paris. Des rumeurs, des bruits, des propos divers, annonçaient la fin du ministère Martignac. Ce ministère cependant demeurait incrédule au milieu de ces nouvelles. Il fallut, pour l’éclairer, l’insistance avec laquelle, au début du mois d’août, le prince de Polignac demanda au ministre des finances Roy s’il consentirait à faire partie de sa combinaison. Peu après, le roi annonçait au ministère qu’il le remplaçait par un ministère nouveau : M. de Polignac devenait ministre des affaires étrangères ; M. de la Bourdonnaye, ministre de l’intérieur ; Courvoisier, de la justice ; et le général de Bourmont, l’homme de Waterloo, ministre de la guerre.

L’annonce de cette nouvelle fit tomber du sommet de ses illusions un peu puériles M. de Martignac. Ce dernier avait toujours eu dans le roi une confiance sans limite. Il prenait la courtoisie, la cordialité, l’affabilité des manières pour des traductions sincères d’un sentiment plus profond. Surtout depuis le retrait des lois d’organisation municipale, M. de Martignac avait cru retrouver la faveur royale, et la posséder sans partage. On a peine à comprendre que ce parlementaire affiné, que cet esprit souple et vivant ait manqué de la plus élémentaire clairvoyance et que, notamment, la double arrivée du prince de Polignac, les propositions à peine voilées faites par le roi qui tentait de faire pénétrer dans le conseil son favori, on a peine à comprendre que cet ensemble de faits n’ait pas davantage frappé ses yeux.

Sous son masque tranquille et bon, le roi astucieux préparait à son premier ministre une chute lamentable, et il ne l’avait conservé près de lui que pour atteindre sans heurt la fin de la session. Celle-ci venue, M. de Martignac n’avait pas attendu bien longtemps les effets de la faveur capricieuse. Il pouvait se rappeler, avec une stupéfaction un peu ingénue, les paroles larmoyantes du roi qui, en Alsace, au milieu des acclamations, lui disait : « Quelle nation, monsieur de Martignac ! et que ne ferait-on pas pour elle ! » Ce qu’il allait faire, on allait le voir, Pour le moment, il préparait le plan.

Il faut dire que Charles X avait sur les lèvres, au moment où il congédiait ses ministres, sinon une raison, du moins un habile et convaincant prétexte. C’était l’absence de majorité à la Chambre, l’insécurité ministérielle qui en était l’effet. La majorité vacillante et bigarrée, faite du libéralisme naïf et de l’ultracisme calculateur, en effet, n’offrait aucun lendemain à ce ministère et, par elle, toute conception réfléchie était frappée de stérilité. À proposer des lois rétrogrades M. de Martignac n’aurait pas gagné les hommes de réaction qui, pour leur besogne, n’avaient pas besoin d’autres mains que les leurs.

À proposer des réformes libérales, il aurait pu se sauver. Mais voici précisément où M. de Martignac et les libéraux commirent des fautes de