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combinaison frivole de M. de Chabrol, naquit celle qui devait être plus durable et plus féconde, celle de Martignac.

M. de Villèle était vaincu par lui-même. Le caractère lui avait toujours manqué et le goût violent pour le pouvoir lui avait suggéré des actes d’autant plus répréhensibles que sa conscience les lui reprochait tout bas. Autour de lui, une minorité agitée et brouillonne avait agi, voulu, gouverné. Il lui avait assez de temps tenu tête pour qu’on puisse dire de lui qu’il était clairvoyant. Mais cela aussi permet de dire, puisqu’il céda, qu’il fut plus qu’un autre responsable. C’est lui qui a amené, par la succession des fautes les plus graves et les plus aisées à éviter, la chute de la monarchie. C’est lui qui a préparé les folies dernières par lesquelles dans quelques mois s’effondrera le régime. Et tout cela pour durer ! En effet, il a blâmé la guerre d’Espagne, le projet sur le droit d’aînesse, d’autres lois encore. S’il laissa la guerre se faire et les lois se préparer, c’est qu’il ne voulait pas résigner son pouvoir. Administrateur, financier, homme de budget et de chiffres, il ne fut pas un homme d’État : à ce degré supérieur ne montent que les hommes publics en qui la conscience parle et qui savent ne pas incliner au caprice des forces et aux entraînements des hommes leur pensée mûrie par l’expérience.

Les difficultés qu’allait rencontrer M. de Martignac tenaient à la dispersion dans la Chambre élective des partis. Il n’y avait pas eu contre de Villèle une opposition, mais des oppositions, rassemblées par des haines communes. Et maintenant qu’avait disparu le ciment qui les fortifiait, elles ne formaient plus qu’une poussière dans l’Assemblée.

Mais au moment où M. de Martignac succédait à M. de Villèle, si ardente que fût la lutte politique, l’attention des partis n’était pas tout entière absorbée par les événements intérieurs. Depuis six années, l’opinion, de degré en degré, participait par une émotion plus vive aux événements extérieurs. La lutte héroïque que soutenait la Grèce, le retentissement des combats livrés sur cette terre rendue prodigieuse par l’antiquité, de jour en jour les incidents davantage connus sollicitaient l’esprit public et le cœur de chacun.

La Grèce, soumise au joug turc, après l’avoir longtemps subi, s’était à la fin révoltée contre l’absolutisme d’une tyrannie sans repos. Si la tyrannie est toujours dure, quelles que soient les mains qui l’imposent, elle est intolérable aux moins sensibles, quand elle tombe sur une race des mains d’une race différente, ennemie, hostile, quand rien avec elle n’est commun, ni la langue, ni la pensée, ni la croyance, quand le passé interrogé proteste en rappelant des traditions d’indépendance. C’était le cas pour la malheureuse et noble nourricière intellectuelle du monde, à laquelle tout homme cultivé doit les joies sans nombre de l’esprit. Elle s’était révoltée, tandis que l’Europe, indifférente à son initiative comme elle l’avait été à son martyre, semblait ne pas voir. Nous ne parlons que de l’Europe officielle, des diplomaties, des