Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/201

Cette page a été validée par deux contributeurs.

gèrent de cet affront le noble représentant de la démocratie terrifiée. Soixante-deux députés s’abstinrent de siéger jusqu’à la fin de la session, tandis que le centre gauche négligea de prendre part aux délibérations et aux votes.

Ce coup d’État parlementaire avait été organisé. La droite ne pouvait tolérer l’orateur véhément, dont la parole inspirée la flagellait et qui, répondant aux provocations par des coups soudains, attestait, par sa seule présence, l’invincible espoir des générations opprimées. Déjà, lors de sa double élection, en Vendée, on avait voulu l’invalider. On préféra attendre et, pour la simple phrase qu’il avait prononcée, toutes les colères préméditées éclatèrent dans une feinte explosion. Même le Moniteur falsifia les paroles de l’orateur pour rendre apparent le grief allégué. Manuel avait montré la France faisant appel à des « forces nouvelles ». Le Moniteur porta « formes nouvelles » faisant ainsi ressortir qu’il y avait eu apologie du régime conventionnel… Manuel disparut : il ne devait plus reparaître sur la scène politique et, retiré à Maisons chez son ami le banquier Laffitte, il mourut à cinquante-deux ans, de ses blessures, reçues comme engagé volontaire de 1793. Le Gouvernement exigea que l’enterrement suivît, pour aller au Père-Lachaise, les boulevards extérieurs. Ainsi tomba, presque frappé à mort par la calomnie, l’un des premiers orateurs de ce temps, le premier, en tous cas, qui se présenta à la tribune les mains vides de tout factum, se confiant à sa parole libre et fière, artisan glorieux de l’éloquence parlementaire, noble soldat de la Révolution qu’il protégea, jeune et encore enfant de sa poitrine, et devenu homme, de son talent.

À une majorité formidable, surtout en l’absence du côté gauche qui, par son départ, portait le deuil de la tribune, le crédit de l’expédition fut voté. La Chambre des Pairs, en dépit d’une résistance opposée par les pairs que le duc Decazes avait nommés et d’une courte lutte de Talleyrand, approuva. Et la guerre fut déclarée ! Cent mille homme s’ébranlèrent, en quatre corps, commandés par les maréchaux Moncey, Molitor, Oudinot, le général Dudesoulle, commandant la réserve, le duc d’Angoulême planant du haut de son inexpérience sur la médiocrité reconnue de ces chefs vieillis. Le major général était le général Guilleminot avec un chef d’État major, M. de Lestonde. Mais précisément, le carbonarisme agonisant allait profiter de ce rassemblement formidable pour préparer une insurrection militaire et pour faire se retourner contre les Bourbons de France l’épée tirée en faveur des Bourbons d’Espagne. Cette tentative folle était condamnée d’avance. L’armée s’était retirée du carbonarisme après lui avoir prêté une fidélité qui ne se démentit pas jusque dans la mort. Mais les exécutions sommaires qui l’avaient ensanglantée, et surtout celle des quatre sergents de la Rochelle, si elles ne l’effrayèrent pas, la jetèrent à tous les doutes. Toujours et toujours la main du bourreau s’abattait sur les soldats, jamais sur les civils.