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Révolution et son œuvre d’émancipation mieux que Manuel. Le grand orateur ne manqua pas à son devoir. Sa parole grave et forte, s’appuyant sur une connaissance parfaite des hommes et des choses, alimentée par la plus haute culture, trouva, pour venger l’immortelle libératrice, de magnifiques accents. Il représenta que Louis XVI avait été précipité sous les coups de la menace étrangère et que pareil sort attendait peut-être, en son palais captif, le cruel et féroce Ferdinand. Et c’est alors que, pour défendre la Révolution, il prononça la phrase célèbre, ou que du moins rendit célèbre l’esprit de parti : « Ai-je besoin d’ajouter que les dangers de la famille royale en France sont devenus plus graves lorsque l’étranger eut envahi notre territoire et que la France, la France révolutionnaire (Voix à droite : Il ne connaît que celle-là ! ), sentant le besoin de se défendre par des forces nouvelles et une nouvelle énergie… » Il ne peut achever. Un tumulte concerté couvre sa voix d’une effroyable clameur. Cent députés, debout, trépignent, hurlent, le menacent, tandis que, calme et hautain, accoudé à la tribune, l’orateur regarde cette furieuse mêlée. Pendant une heure, les injures et les outrages pleuvent autour de lui ; l’orateur essaie de parler et le président, impuissant, lève la séance. Manuel descend, s’asseoit à la gauche, écrit au président pour protester.

La séance est reprise ; mais on ne la peut tenir. On la renvoie au lendemain 27 février. Alors M. de La Bourdonnaie réclame l’expulsion pour toute la session du membre qui a apporté à la tribune l’apologie du régicide. Manuel veut parler. Les colères lui ferment la bouche. M. de Saint-Aulaire. M. Demarcy, le général Foy, se précipitent pour le défendre. Aucune raison ne peut entamer le parti-pris violent de la droite. Manuel refuse de se défendre et de s’abaisser, revendique son droit de défendre la Révolution, écarte toute apologie du régicide et déclare qu’il est victime d’un guet-apens où l’on veut avoir raison de sa constance et de son courage. Enfin on renvoie aux bureaux la proposition que rapporte son propre auteur, et la Chambre s’ajourne au 3 mars.

L’expulsion ne faisait aucun doute. Au moins le parti libéral décimé fit face à la violence spoliatrice de la liberté et, par tous les orateurs, vengea par avance la tribune de la souillure de la force. Après quoi, Manuel fut expulsé, en dépit de l’appui que lui prêta Royer-Collard. La Chambre se sépare ; mais le lendemain voici Manuel, en costume, à son banc. Sommé de quitter son banc, il refuse : la garde nationale, mandée, répudie comme abominable l’ordre qui lui est donné. Il fallut faire donner les gendarmes qui, conduits par le colonel de Foucault, « accompagnèrent » l’orateur républicain.

Tous les députés de la gauche se retirèrent, protestèrent, refusèrent de prendre part aux débats, s’exclurent eux-mêmes avec la victime de toutes les haines rétrogrades. Au dehors, des manifestations vite réprimées ven-