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qu’il n’y a plus de respect à garder pour la Charte, abominable document arraché à la faiblesse royale, dont l’absolutisme est du même coup proclamé. On enlève au jury la connaissance des diffamations produites contre les fonctionnaires, et par là on dérobe à l’esprit public le droit de contrôle qui lui avait été tardivement restitué. Enfin, un délit nouveau est constitué : l’attaque contre une ou plusieurs classes de personnes. C’était prévoir uniquement la critique de l’aristocratie, devenue ainsi, de par la loi, une institution d’État, comme la religion, que la même loi, d’ailleurs, dans un texte nouveau, défendait contre « la dérision ». À ce propos, Royer-Collard prononça un admirable discours, supérieur à son temps et où, pour la première fois, apercevant au delà de la politique, il sonde le mal social dans sa profondeur. Il rappela ce qu’avait laissé derrière lui l’orage révolutionnaire et que, comme l’avait dit M. de Serres, la démocratie coulait à pleins bords. Mais ce fut pour montrer l’aristocratie inférieure à toutes les aristocraties de tous les temps, classe inerte et inférieure si ses ancêtres avaient été utiles, chargée dans son impuissance de tous les pouvoirs politiques. Il prononça à ce sujet la phrase fameuse et profonde : « Le gouvernement est constitué en sens inverse de la société : on dirait qu’il existe contre elle, pour la démentir et pour la braver ». C’était la première fois qu’un orateur s’élevait à cette philosophie et, désertant la superficie politique des problèmes, jugeait le fond. Mais cette parole, toute débordante d’amertume, passa sur la fureur parlementaire sans la calmer. Les brillantes philippiques de Benjamin Constant eurent le même sort. C’était l’ancien régime, son esprit étroit et fermé qui était redevenu le maître. La loi fut votée en dépit des efforts de Manuel, et le budget aussi, le 1er mai 1822.

Alors, à ce moment, eurent lieu, par anticipation, les élections pour les dix-sept départements renouvelables. Cette campagne électorale fut une débauche odieuse d’arbitraire et d’iniquités. La pression officielle se manifesta au clair regard par des circulaires où le fonctionnaire était placé publiquement entre sa fonction et sa conscience. Les injures, les calomnies, les délations, toutes les violences qui furent toujours en ce pays le cortège de la contre-révolution se donnèrent carrière. Cependant cet effort fut inutile, et les libéraux, grâce au vote de Paris qui élut dix libéraux sur douze députés, gagnèrent des sièges. Alors s’abattit sur la tête des fonctionnaires coupables de ce résultat la fureur des révocations et des disgrâces. Le baron Louis, pour avoir assisté au dépouillement d’un scrutin et surveillé les opérations, fut révoqué par le ministre Peyronnet de son titre de ministre d’État.

Le contre-coup de ces violences se fit tout de suite sentir à Paris. Les manifestations dues à la jeunesse des écoles se firent fréquentes et ardentes, ne suffit pas toujours du sabre des gendarmes chargeant les étudiants en droit sur la place du Panthéon pour avoir raison de ces légitimes ardeurs. La rage du gouvernement se tourna contre tous les citoyens, sans même