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ils avaient dîné. Ceux-ci furent arrêtés et, vu la connexité, les sergents de la Rochelle, y compris Lefèvre, furent amenés devant le jury parisien. C’est là, qu’après une instruction de plus de six mois, pendant lesquels on tâcha de découvrir d’innombrables complices, c’est là qu’au mois de septembre 1822 vinrent échouer près de trente accusés. Après de longs débats, quelques uns furent condamnés à des peines d’emprisonnement ; d’autres acquittés ; Raoulx, Pommier, Goubin, Bories, Goupillon condamnés à mort, ce dernier exempté de toute peine pour avoir révélé le complot. En vain Bories, dans un suprême appel au jury, l’avait supplié d’absoudre tout le monde sauf lui, avait appelé sur lui les responsabilités mortelles, offert la rançon de ses veines ouvertes pour racheter le sang de ses amis. Dans cette nuit, à peine éclairés par des torches, les quatre condamnés s’embrassèrent ; bien des larmes coulèrent devant cette glorieuse moisson de jeunesse que la mort allait inutilement faucher.

À Bicêtre, où on les incarcéra, on tenta de les faire évader ; 70 000 francs avaient été réunis, mais le complot échoua. Le 17 septembre, ils furent conduits à la Conciergerie, et de là, à six heures du soir, sur la place de Grève. Les carbonari, impuissants à les enlever par la ruse, ne les enlèveraient-ils pas par la force ? Laisseraient-ils le bourreau accomplir son office ? Dix mille carbonari, armés, pouvaient faire irruption et, avec la complicité de la foule, délivrer les prisonniers ; pour leur honneur et celui de l’association, ils pouvaient au moins le tenter. Rien ne vint ; ces vaillances qui, rassemblées et conduites, eussent fait à travers la troupe une trouée meurtrière, isolées et désunies se manquèrent à elles-mêmes. Au milieu de leur inutile cortège les quatre voitures passèrent. Au pied de l’échafaud, les quatre condamnés se donnèrent le tendre baiser de l’amitié fraternelle. Raoulx gravit le premier les marches et cria : « Vive la liberté ! » Puis Goubin, puis Pommier, Bories, enfin, s’écria : « N’oubliez pas que c’est le sang de vos fils qu’on fait couler ! » et il s’étendit sur la planche sinistre, chaude déjà de trois forfaits. Jusque dans la lunette il acclama la liberté. De cette tribune sanglante, ce cri partit, traversa la foule et alla vers l’avenir : le soir, il y avait bal aux Tuileries.

Quelques jours après, d’autres exécutions avaient lieu : c’était le règlement, par le pouvoir, de la conjuration de l’ouest. Cette fois, ce n’étaient plus les carbonari, c’étaient les Chevaliers de la liberté qui étaient frappés. Cette société, nous l’avons dit, avait son siège à Saumur et, de là, rayonnait partout dans l’ouest ; ses chefs étaient Grandménil, aide-major, Delalande, notaire, Baudrillet, commerçant, Delon, lieutenant d’artillerie, Caffé, médecin. Le noyau vigoureux était formé par des élèves-officiers de l’école de Saumur. Au mois de décembre 1821, le signal allait être donné, lorsqu’un incendie éclate, que les élèves de l’École sont conviés à éteindre ; quelques-uns tombent sous l’écroulement d’un mur, on les transporte morts, on