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rage et leurs armes aux insurrections vaincues. Cette association formée en Italie pour résister au nom de l’indépendance nationale aux entreprises étrangères, encouragée par Murat, puis refoulée par lui, avait toujours groupé les plus intrépides soldats. Elle venait fleurir en France, allégée de tous les rites et de toutes les formalités tragiques dont il a plu aux romanciers d’exagérer encore l’importance. Elle était une association fermée, certes, mais qui s’ouvrait au premier coup, et si vite même, que tous les insuccès qui ont suivi les tentatives de complot peuvent être attribués à la naïveté de ceux qui étaient chargés d’accueillir les nouveaux venus.

Les carbonari étaient ainsi formés : il y avait des associations particulières, appelées ventes particulières, ayant chacune leur président, leur censeur, leur député. Quand dans la même ville il se trouvait vingt ventes, les vingt députés se réunissaient et formaient une vente centrale. Une seule communiquait avec les ventes particulières placées au-dessous d’elle, et qui s’ignoraient totalement l’une l’autre. De plus, elle communiquait au-dessus d’elle avec la haute vente, organe directeur et centralisateur, d’où tout venait, où tout revenait. Il était absolument interdit d’écrire, de laisser derrière soi la moindre trace palpable d’une entente ; tous les ordres étaient verbaux et ils étaient portés par des hommes sûrs.

Dès le début, cette société avait peu prospéré : c’est qu’elle était dirigée par des hommes à peu près inconnus, quoique d’un entier dévouement. La pensée leur vint de placer à leur tête La Fayette ; celui-ci accepta, et près de lui vinrent prendre place Cauchois-Lemaire, Arnold-Scheffer, Kœklin, Merilhou, avocat, de Cercelles, député, Voyer d’Argenson, député, M. de Schonen, conseiller à la cour royale de Paris ; dès que l’on connut cette formation, rassurées par la présence de La Fayette et de ses amis, les adhésions furent très nombreuses : il y eut, à Paris seulement, plus de cinquante ventes. Kœklin en fonda une à Mulhouse, et on distribua la France en trois sections dont chacune devait être couverte de ventes : est, avec Duchy comme directeur ; le midi, avec Arnold-Scheffer ; l’ouest, avec Rouen aîné, avocat.

L’organisation de l’ouest commença tout de suite, et un jeune étudiant, nommé Riobé, fut chargé, avec des lettres de La Fayette, d’aller parcourir cette région. Il se rendit à Saumur, s’aboucha avec quelques libéraux notoires, notamment avec l’aide-major Grandménil. Sa stupéfaction fut profonde : c’est qu’il trouvait en face de lui un groupement solide, organisé silencieusement par quelques hommes d’action, et qui s’appelait : Les chevaliers de la liberté. Ce groupement débordait au-delà de Saumur, allait de Poitiers à Nantes, de Nantes à Paimbœuf. Il comprenait vingt mille adhérents, englobait dans son sein une grande partie de l’école des sous-officiers de Saumur. Pour communiquer entre eux, il y avait des commissaires qui, infatigables, parcouraient la région, relevaient les