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prêt à tout pourvu que la Révolution tant de fois condamnée fût chassée même du souvenir. C’est là que s’avisant que l’union de la religion et de la monarchie étaient indispensables, s’organisèrent toutes les tentatives par où l’on espérait reprendre sur l’ordre moderne toutes ses conquêtes et restaurer le clergé, non pas seulement dans ses pompes fragiles, mais dans sa puissance politique, religieuse et sociale, en lui remettant les actes de l’état civil, la propriété et l’instruction des enfants. Effroyable complot qui ne procédait pas par éclats soudains et par coups de poignard, où dans l’obscurité à l’abri de laquelle ils préparaient des chaînes pour les générations, les conjurés ne risquaient rien ! On sait ce que le clergé avait tenté déjà d’obtenir dans les années dont le récit nous a conduit jusqu’ici, et ce qu’il a obtenu du budget (suppression des pensions pour les prêtres assermentés, accroissement des pensions aux prêtres en service, inscriptions de rentes garanties par des hypothèques sur les biens de l’État). On va voir ce que tenta la Congrégation dans les années 1821 et 1823.

Dès 1814, un enseignement s’était établi en France sur le modèle de l’enseignement de Lancaster, et s’appelait l’enseignement mutuel ; par là on entendait une méthode nouvelle. Le maître n’enseignait qu’à un nombre restreint d’enfants bien choisis, qui, à leur tour, recevaient le droit d’instruire leurs camarades. C’était provoquer l’émulation dans l’enfance et attacher à l’étude un intérêt immédiat qui en doublait la valeur. Cet enseignement trouva un défenseur dans Royer-Collard, alors président du conseil de l’instruction publique. M. Decazes, lui aussi, avait recommandé cet enseignement au roi, et depuis lors, chaque budget portait une allocation annuelle de 50 000 francs destinée à cette institution. La Congrégation protesta ; elle avait créé les Frères de la Doctrine chrétienne, qui avaient la mission d’accaparer l’esprit des enfants pauvres, tandis que les jésuites réservaient leurs manières plus distinguées et leur culture moins médiocre à l’instruction des enfants riches. Mais la Congrégation se brisa à la résistance de Royer-Collard. Grâce à lui, l’enseignement mutuel prospéra si bien que, après 1817, ses écoles étaient au nombre de 100 avec 12 000 élèves (Levasseur, Histoire des classes ouvrières, tome I), tandis que les Frères de la Doctrine chrétienne protestaient toujours. En 1820, il y avait 1073 écoles mutuelles, et grâce à l’effort de la Congrégation, les écoles des Frères montaient de 60 à 187 (Discours de Cuvier, Moniteur de 1821). Cela ne pouvait durer : la calomnie fit son œuvre, on représenta que l’école mutuelle était un foyer d’incrédulité. Chaque élève apprenant à instruire son voisin faisait un effort d’esprit qui l’accoutumerait peut-être à secouer le joug de la religion. Après la calomnie, vint l’action ; le 21 décembre 1820, M. Corbière remplaça M. Royer-Collard à la direction de l’instruction publique. M. Corbière était l’homme de la Congrégation ; au premier budget qu’il prépare, il s’efforce, par la commission, de faire supprimer ce mince crédit. Ce crédit,