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plaçaient le pouvoir sur la tête du monarque et assimilaient la Chambre à une assemblée capable seulement de donner des conseils que le roi n’était pas contraint de suivre. Ceux qu’on appela d’abord les indépendants, ensuite les libéraux, étaient loin d’offrir aux regards cette unité de doctrine et d’action. Que voulaient-ils ? Chaque interrogation adressée à des hommes différents risquait de recevoir une réponse différente. M. de La Fayette pensait à restaurer les principes de 1789, penchait à une monarchie constitutionnelle ou à la République, selon les jours, et la mobilité des événements dont il avait été l’infatigable témoin semblait lui avoir communiqué la mobilité des idées. Jusqu’à la République allait fièrement et sûrement Voyer d’Argenson, qui, seul, et le premier, dans ce parti libéral, entrevoyait un problème supérieur au problème des formes politiques et s’inquiétait, avec une curiosité plus généreuse que bien ordonnée, du sort des misérables. Manuel était devenu républicain. M. Casimir Périer était royaliste ; M. Laffitte était à mi-chemin de la République, l’un et l’autre prêts à soutenir le régime qui, une fois réservées certaines libertés, assurerait un appui aux intérêts. Benjamin Constant, qui avait fui la tyrannie de Bonaparte, était un républicain. Mais le groupe des libéraux contenait en lui une faction assez forte constituée par les anciens serviteurs de l’Empire, et qui n’avaient pas renié les idées d’autrefois. Ceux-là penchaient pour un rétablissement militaire qui donnerait quelques-garanties à la liberté, et le général Foy fut l’ardent interprète de ces pensées. Ainsi, dans un groupe restreint, plusieurs conceptions se faisaient jour. Les uns voulaient timidement la République, dont ils n’osaient prononcer le nom ; ceux-là, la monarchie constitutionnelle ; les derniers, Napoléon II. C’était là l’incurable faiblesse de ce parti, qui n’offrait que des velléités à la ferme et féroce volonté de la droite. Certes la diversité des opinions enrichit un parti, et ce sont par elles autant de lumières diverses qui le viennent réchauffer et éclairer. Mais il faut qu’il y ait un parti, c’est-à-dire un principe, et que ce soit sur l’application de ce principe que les hommes discutent. Or, là, il y avait trois ou quatre partis, en désaccord sur le principe, et qui ne se rassemblaient que pour tenir en échec les propositions de la droite. C’était une opposition. Mais qu’est-ce qu’une opposition qui ne révèle pas par avance sa puissance de gouverner ? Le pays apercevait le vide derrière cette admirable façade, et c’est là la raison qui tout en laissant au parti libéral le prestige que conquerront toujours l’éloquence et le courage, tout en mettant à sa disposition les irritations soudaines ou prolongées d’innombrables mécontents, ne lui donnera pas la force et la cohésion d’un véritable parti.

Il faut dire que la droite recevait de l’extérieur une direction unique qui faisait sentir son frein jusqu’au milieu des plus déplorables violences. C’était la direction de la Congrégation ; nous avons assisté déjà à la formation, dès 1815, de cette Congrégation, d’abord simple cercle d’études et de contro-