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débordant, et leurs bancs se vidaient à chaque élection ; encore quelques-unes de ce genre et le libéralisme perdrait son point d’appui, qui était la tribune parlementaire.

La Chambre ouvrit ses séances le 5 novembre et accueillit le roi, un roi fatigué, courbé, qui ne put même pas se traîner jusqu’au siège de la représentation nationale, et qui fit ouvrir la séance inaugurale dans le palais du Louvre. C’est là que Louis XVIII prononça la phrase à laquelle la réponse de la Chambre devait être pour lui si injurieuse et si dure : « Nos relations avec les puissances étrangères n’ont pas cessé d’être amicales et j’ai la ferme confiance qu’elles continueront à l’être. » La Chambre se réunit, chargea une commission de répondre à l’adresse, et la commission donna le mandat de rédiger ce document à l’un des plus furieux parmi les ultras, M. Delalot. Sous la plume fielleuse et agressive de M. Delalot, la réponse, qui chaque année, n’était qu’une plate amplification du discours lui-même, devint une riposte virulente. Et cette phrase souffletait le roi et ses ministres, devant la France, devant l’Europe : « Nous nous félicitons, Sire, de nos relations constamment amicales avec les puissances, dans la juste confiance qu’une paix si précieuse n’est point achetée par des sacrifices incompatibles avec l’honneur de la nation et la dignité de la couronne. » En vain le ministère voulut faire modifier cette phrase et s’y employa d’abord officieusement. Il avait, d’humiliations en humiliations, perdu toute autorité, et, symptôme grave, MM. Lainé, Corbière, de Villèle n’assistaient plus à ses conseils, ne s’étaient pas installés au banc des ministres lors de la première séance, donnaient à tous l’assurance qu’ils n’étaient plus les auxiliaires de ce gouvernement usé, discrédité, abandonné.

La séance publique s’ouvrit enfin où la réponse à l’adresse fut discutée. M. Pasquier s’opposa à la phrase menaçante, comme il pouvait s’opposer à quoi que ce soit, avec un discours qui ne fut écouté qu’à demi. Cette fois, l’extrême-droite et la gauche se réunirent, M. de la Bourdonnaie et le général Foy mêlèrent leurs âpres reproches, demandèrent comment le roi de France avait pu ne pas intervenir dans les affaires de Naples et de Sardaigne et s’effacer aussi misérablement. L’adresse, y compris la phrase qu’elle contenait, fut votée par 176 voix contre 98. Le ministère, depuis si longtemps moralement atteint, était matériellement frappé.

Le roi hésita longtemps à recevoir la délégation qui lui devait remettre l’adresse. Il finit par l’admettre, en la restreignant au président Ravey et à son secrétaire. Il ne la lut pas, répondit par des paroles hautaines et sévères à l’insinuation qui visait sa dignité, et la congédia. Ceci n’était pas pour rendre plus facile le contact entre le ministère et la Chambre. Cependant le cabinet voulait résister : il tenta de négocier avec les libéraux, et M. de Richelieu fit des ouvertures au général Foy. Mais il était trop tard, trop d’abîmes étaient ouverts entre les libéraux et le cabinet, et les revendications