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seraient de plus fidèles auxiliaires que d’autres. Et l’événement ne démentit pas ce pronostic.

Dès les premiers jours qui suivirent le départ de M. Decazes, le ministère demanda la discussion du projet de loi suspensif de la liberté individuelle et destructif de la liberté de la presse que, comme un triste testament politique, M. Decazes avait laissé. Il le fit défendre par M. Pasquier, conscience servile, parole enchaînée au succès, qui avait soutenu l’Empire, le libéralisme, maintenant défendait la thèse adverse, roulant de rares idées dans les flots d’une faconde fleurie. Au moins les libéraux ne désertèrent pas la rude tâche qui leur venait des événements. C’est de cette époque que date vraiment l’éloquence parlementaire. C’est alors qu’habituée à la tribune par cinq années de débats, elle s’y dresse, allégée des lourdes parures qui l’avaient accablée tout d’abord. Ce seront des discours improvisés, non lus en tout cas, pour la plupart au moins, qui retentiront comme un cliquetis où tout ce que la passion a de flamme, et aussi la haine, apparaîtra. Deux Frances vont maintenant se mêler chaque jour dans cet étroit champ clos, et leurs fils, le regard aigu, la lèvre âpre, tour à tour dans des rencontres violentes, se jetteront le dédain, le mépris, l’outrage. C’est la rencontre de la Révolution et de l’émigration, et tout ce qu’il y avait de colères contenues par les années, contenues ensuite par la volonté va faire explosion, en des journées inoubliables pour la France qui, plus attentive, plus soulevée, prendra part de loin, quand elle ne le pourra de près par le grondement de l’émeute, à ces batailles où la liberté mourante devait révéler qu’elle était immortelle.

Manuel, Benjamin Constant et le général Foy attaquèrent ces propositions, le premier avec la force intrépide d’une parole exercée à tous les combats, le second avec l’âpreté agressive d’une parole qui ne sacrifiait pas à la colère sa pureté, le troisième avec la généreuse ardeur d’une éloquence qui atteignit, à certains jours, surtout par le jaillissement de l’apostrophe, le sommet. Manuel demanda comment les ministres actuels pouvaient, sans se souffleter eux-mêmes, apporter des propositions qui étaient pour leur œuvre passée un brûlant démenti. Et Benjamin Constant, raillant les rôles successifs que, depuis tant d’années, tenait M. Pasquier, lui demanda la définition de l’arbitraire. L’impudence de M. Pasquier fut extrême : il avouait l’arbitraire, disant qu’il était légal et préférable, par là, à l’arbitraire qui s’autorise de la violation des lois. Pour son passé, il rejeta aisément le fardeau sur la route, en invoquant l’éternel argument des déviations et des trahisons : l’expérience et les années… La loi fut votée par 134 voix contre 115, c’est-à-dire avec une majorité formée par les ministres eux-mêmes… Sur la loi destructive de la liberté de la presse le débat se renouvela ardent et âpre mais n’aboutit pas pour la liberté à un résultat plus heureux. Cette loi nouvelle replaçait sous l’autorisation royale et sous la censure les journaux et même les cahiers périodiques qui, comme la Bibliothèque historique, y