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étaient étourdis de ce parfum enivrant. C’est au milieu de ces événements qu’un repos trompeur fut offert à l’esprit national par une exposition. À cette époque, une exposition, qui était d’ailleurs un spectacle purement national, n’offrait pas au regard l’ampleur, l’émerveillement des vastes accumulations humaines dont notre vue est lassée. Elle était une émulation modeste entre rivaux ; la dernière avait eu lieu en 1806. Au mois d’août 1819 eut lieu celle qui suivit, et la Restauration tint à honneur d’appeler plusieurs fois, tous les quatre ans, à ce rendez-vous, le commerce et l’industrie français. En 1806, la France s’étendait à plus de 111 départements, et on avait compté plus de 14 000 exposants. En 1819, la France, réduite à 86 départements, offrait près de 1700 exposants (Levasseur, Histoire des Classes ouvrières, tome Ier). C’est dès ce moment que les produits récompensés par le jury furent l’objet d’une distinction. Le roi visita l’exposition, affecta de traiter avec familiarité les grands industriels, surtout M. Oberkampf, distribua dix croix de la Légion d’honneur. Comme si la vie politique, les angoisses de la liberté menacée et les inquiétudes pour le lendemain n’avaient sur l’art aucune influence, Victor Hugo publiait ses Odes, Lamartine ses Méditations poétiques, Géricault exposait son Naufrage de la Méduse, Ary Scheffer et Delaroche apprêtaient leurs pinceaux. Par un étrange paradoxe d’esprit, le libéralisme hait ces formes nouvelles du talent, et l’esprit politique, qui attend tout de la réforme, ne se combine pas avec l’esprit littéraire qui impose sa révolution. Le Romantisme est à cette époque une forme de réaction, et tous les esprits libres restent attachés au classicisme du XVIIe siècle, rivés à cette source de lumière d’où a jailli l’esprit moderne.

Les élections eurent lieu le 11 septembre. La tactique des ultra-royalistes, depuis quelque temps dévoilée, était bien simple : elle consistait à faire sortir le bien de l’épuisement du mal. Pour eux, quel était le mal ? C’était le libéralisme. Ainsi les ultra-royalistes allaient partout avec leur formule : Plutôt des Jacobins que des ministériels ! Ceux-ci déclamaient contre les libéraux, qui représentaient la Révolution, et les ultras qui compromettaient de leurs excès la monarchie. Les libéraux avaient posé des candidats surtout dans les départements ravagés par les cours prévôtales et pour protester contre l’ignominie des iniques supplices. L’Isère, piétinée en tous sens par le général Donnadieu, était de ce nombre. Le comité libéral de Paris y avait posé la candidature de l’ancien conventionnel Grégoire. Au second tour, Grégoire fut élu. Il avait eu au premier tour 460 voix, le ministériel 350 et l’ultra 210. Au second tour, il eut 540 voix, le ministériel 362 et l’ultra 110. L’opération arithmétique soulignait l’opération politique : au second tour, les ultras avaient apporté 12 voix au candidat royaliste et 100 au candidat libéral, dont le nom seul avait, pour la cour, une signification outrageante.

Le coup était donc porté au roi par les ultras qui, entre un conventionnel et un royaliste, allaient au conventionnel. À quel conventionnel  ? On a dit à