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rival. Précisément ce rival ne le pouvait plus être, ayant rempli sa tâche, et vivant dans un monde où la gratitude pour les services rendus n’égale jamais l’espérance des services à venir. M. de Richelieu, lui, voulait donner à la politique une orientation nouvelle. Il fallait que M. Decazes partît : mais comment le décider ? M. de Richelieu se rapprocha des royalistes qui lui imposèrent des conditions de personnes et des conditions législatives très lourdes. M. de Richelieu ne les put toutes accepter : l’alliance fut donc rompue. Entre temps, M. Decazes, qui sentait la Chambre hostile au ministère de la Police, et qui voulait le supprimer, désirait remplacer à l’Intérieur M. Lainé et lui réserver la Justice dont le titulaire, M. Pasquier, retrouverait le ministère de la Maison du roi. M. Lainé refusa d’accéder à cette modification et, après une inutile réunion chez le roi, il fallut, sans prendre un parti, ouvrir la séance de la Chambre. C’était le 10 décembre 1818. M. Corvetto seul, épuisé et écœuré, avait cédé sa place à M. Roy.

On se réunit à nouveau le 12, chez M. de Richelieu. Là encore, celui-ci n’ose pas réclamer ouvertement ce qu’il désire, ce que sera le pacte avec la droite, c’est-à-dire la modification de la loi électorale. Tous se réservent, attendant l’élection des bureaux où l’on pense que les Chambres feront connaître leur volonté. Elles manifestent, en effet, contre le cabinet, et M. de Serre, qui était président, n’est pas réélu. Il faut donc que M. Decazes parte ! Mais il agit si vite et si bien que les vice-présidents élus par la Chambre sont favorables au cabinet… Alors M. Molé se retire, entraîne M. de Richelieu, lequel entraîne M. Lainé, lequel est suivi par M. Pasquier. De son côté, M. Decazes ne veut pas demeurer. Le roi se trouve le 20 décembre sans cabinet. Il fait effort sur M. de Richelieu : celui-ci accepte de prendre le pouvoir, mais il lui faut l’exil de M. Decazes qui partira en ambassade à Londres. M. Decazes consent, mais préfère aller à Libourne. M. de Richelieu transige. Il offre les portefeuilles vacants à ses anciens collaborateurs. Mais M. Lainé refuse de faire modifier la loi électorale qui est son œuvre. Plus de ministère ! Une autre combinaison où pénètre une soirée Cuvier s’effondre. M. de Richelieu a terminé son œuvre : le 27 décembre, il redemande sa parole au roi.

Restait M. Decazes qui attendait son heure et dont le cabinet était prêt : il sonde le général Dessolles, qui, sans avoir sur le tzar l’influence de M. de Richelieu, lui est sympathique et, rassuré de ce côté, lui fait offrir la présidence du Conseil, sans aborder Macdonald ou Marmont que le duc de Richelieu avait indiqués. On se réunit, on appelle M. Decazes qui prend l’Intérieur, place M. de Serre à la Justice, M. Portal à la Marine, M. Louis aux Finances, Gouvion Saint-Cyr à la Guerre. L’ordonnance qui porta officiellement à la connaissance de tous la nouvelle de la formation ministérielle est du 29 décembre. L’année 1819 allait s’ouvrir et se refermer sur ce ministère.