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paraître du territoire portait le deuil et l’épouvante dans la petite cour du comte d’Artois, chef invisible mais actif de la coterie des ultras, ennemi féroce de M. Decazes. Si l’armée alliée allait disparaître, pouvait-elle disparaître sans que des conditions fussent posées ? Précisément le traité du 20 novembre 1815 fixait à cinq ans la durée de l’occupation, sauf à la cesser après trois années si l’indemnité étant soldée. Ne pouvait-on en retenir ces 150 000 hommes, qu’après le 23 avril Wellington avait accepté de réduire à 120 000 ? Pour cela il fallait montrer à l’Europe l’insécurité du pouvoir français, la fragilité du régime semi-libéral, accuser les ministres, calomnier leurs intentions, faire craindre aux alliés le retour de la Révolution, leur arracher enfin un ordre, celui de licencier le ministère. Mais qui allait rédiger ce mémoire patriotique et national ? M. de Vitrolles s’offrit, un peu humilié de l’ingratitude royale. Son mémoire concluait à la dispersion du ministère et au retour à l’ancien régime. On le remit au prince Orloff, qui le devait soumettre à Alexandre, arbitre des destinées françaises.

C’était de la part du comte d’Artois une impardonnable légèreté, car le prince Orloff, vu l’état des relations d’Alexandre avec M. de Richelieu, ne devait pas se compromettre dans une ténébreuse négociation contre l’ami de son maître. Son premier acte fut de porter au ministère le mémoire qualifié Note secrète. M Decazes la dépouilla de son mystère, la fit publier à l’étranger, puis en France, afin d’appeler l’attention publique, à la veille des élections, sur l’état d’esprit des ultras, réclamant le maintien d’une armée qui coûtait 130 millions à la France. Cette note fut sans effet sur les puissances qui se devaient réunir le 20 septembre au congrès d’Aix-la-Chapelle.

Les ministres et les souverains s’y rendirent ; M. de Richelieu, comme il convenait, représentait la France. On y accéda au traité de libération qui fut signé le 9 octobre et par lequel la France était définitivement libérée, le 30 novembre 1818, d’une occupation qui durait, totale ou limitée, depuis le mois de juin 1815. Pendant ce temps, les électeurs étaient convoqués pour le 27 octobre : les luttes, bien que circonscrites par l’absence même de l’opinion et la présence de la censure, furent âpres et ardentes. On reprochait à M. Decazes d’avoir, de toutes pièces, forgé une conspiration, dite du Bord de l’Eau, qui avait réuni en elle, sous la maîtrise du général Canuel, des officiers supérieurs, et qui, instrument des ultras, devait frapper le ministère. Une instruction avait eu lieu ; mais, tandis que les parquets étaient impitoyables pour les pauvres gens dénoncés à leur fureur, pour les écrivains cependant timides, pour la Bibliothèque historique, revue périodique qu’ils venaient de déférer à la justice, ils furent très tendres aux généraux et un non-lieu clôtura, pour la confusion du cabinet, cette enquête basée d’ailleurs sur d’extravagantes délations.

M. Decazes luttait quand même. Il avait fini par lancer ses fonctionnaires qui descendaient sur le champ du combat, armés de leurs prérogatives re-