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resté seul, est sommé de laisser sa liberté à la justice du roi. Et cette justice est prompte. Quelques jours après le soulèvement, quatorze condamnés sont exécutés, puis d’autres encore. Au mois de septembre il y avait eu vingt-huit exécutions. Et la cour prévôtale allait entreprendre le jugement des accusés de Lyon. Au milieu de cette débauche de violences, seul, M. de Sainneville gardait son sang-froid. Il fait une enquête, en communique les résultats à M. Decazes, le supplie d’arrêter le cours de ces furies. M. Decazes et M. Lainé hésitent. Cependant la lecture de quelques dossiers les émeut, la pensée que le châtiment, s’il fut juste, se perd lui-même dans l’excès, leur vient et ils donnent mandat au maréchal Marmont d’aller s’enquérir à Lyon. Quoique gênée, dès le début, par les intéressés, l’enquête du duc de Raguse fut complète et impartiale : elle mit à nu la fourberie scélérate de Canuel et la lâcheté du préfet. Le ministère arrêta les poursuites, ferma la cour prévôtale, grâcia les condamnés à trois ans de prison, mais, par respect pour une chose jugée qu’il savait criminelle, maintint, tout en les atténuant, les autres condamnations et fit payer les amendes. Épuisé par cet acte de molle vigueur, il n’eut plus de force pour châtier les coupables : M. de Chabrol fut déplacé, le général Canuel, dessaisi du commandement, mais nommé baron et inspecteur général de l’infanterie.

À Alençon, à Bordeaux, des exécutions capitales ; à Paris, l’exécution par les armes de deux sous-officiers du 2e régiment de la garde royale, au besoin, auraient suffi à démontrer que le pouvoir ne se relâchait pas. C’était toujours le même système d’équilibre, au nom duquel on résistait aux prétentions ultra-royalistes tout en exagérant la sévérité. Tout puissant, tout heureux des sourires de la fortune, M. Decazes, modifiant encore le cabinet, mettait M. Pasquier à la place de l’incapable M. Dambray, et le maréchal Gouvion Saint-Cyr à la place du ministre de la Marine Dubouchage ; puis le maréchal, remplacé à la marine par M. Molé, entrait à la guerre dont partait le duc de Feltre, le médiocre et incapable soldat, qui, chargé de la reconstitution de l’armée, laissait toute la tâche à un successeur qui en sut remplir l’ampleur.

Au mois de septembre avait lieu le renouvellement partiel : c’est alors que prit part à la lutte un nouveau parti, le parti indépendant, qui devint plus tard le parti libéral. Jusqu’ici les hommes de ce parti étaient perdus parmi les royalistes attachés à la Charte et qui avaient répudié les fureurs des ultras : c’étaient M. Laffitte, Voyer d’Argenson, Joby, Savoie-Rollin, de Grammont. Furent élus : Casimir-Périer, Bignon, Dupont de l’Eure, Caumartin. La Fayette fut battu, ainsi que Manuel. Ce parti était représenté par 25 députés et se mêlaient en lui les défenseurs attardés de la fortune napoléonienne, les élus libéraux, et, sans se parer encore du titre, un socialiste, Voyer d’Argenson. Il y avait 75 ultras et 155 royalistes ministériels. Comme on le voit, c’est contre les ultras que les élections s’étaient faites.