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passions bestiales de la Chambre introuvable, occupaient encore leur emploi. D’où des trahisons quotidiennes, des détachements qui ruinaient peu à jeu un pouvoir trop confiant.

Cependant M. Decazes eut la perception du péril dans les incidents de Lyon. Lyon était militairement gouverné par le général Canuel, le triste héros des vengeances vendéennes. Envieux des titres et des lauriers qui avaient été décernés à son voisin de garnison, le général Donnadieu, pour les exécutions sommaires de Grenoble, Canuel imagina des complots. Cinq fois de suite, au mois de juin 1816, il dénonça aux autorités civiles des complots dont la première constatation montrait la vanité. Il faut dire que le commissaire général de la police était M. de Sainneville, émigré vieilli, mais de conscience droite et d’esprit net, et le préfet, M. de Chabrol, qui, avec lui, résistait à toutes les tentatives. Ce qui accuse bien le caractère policier de ces provocations, c’est qu’une nuit un capitaine nommé Ledoux, dont le zèle pour les complots ne se ralentissait jamais, fut vu par ses complices qui le surveillaient entrant chez le général Canuel, fut tué en pleine rue, à la sortie, sans que, de peur de révélations, ce général fît ordonner une enquête.

Mais l’émotion publique était portée à son comble par ces provocations. De plus, quelques personnes à Lyon et autour de Lyon, croyaient vraiment à l’existence de conspirations. Or, comme une sourde colère contre un régime pareil animait bien des consciences, comme l’occupation étrangère souillait toujours le sol du pays, comme la vie publique était le lot de quelques hommes riches et que l’esprit public ne trouvait pas à se répandre, cette croyance fut néfaste. Du moment que l’on conspirait, c’est donc qu’il y avait de nombreux et vaillants champions d’une autre cause que celle des Bourbons ! Ainsi, un soir, une de ces étincelles finit par amener l’explosion. Oh ! explosion discrète et combien timide ! Dans quelques villages autour de Lyon, quelques habitants se réunirent pour se concerter, le tocsin retentit, et ce fut tout. Un seul coup de fusil fut tiré — un seul ! Et, de l’aveu même de l’autorité militaire, il suffit — comme à Grenoble — de quelques soldats pour ramener instantanément le calme. Les autorités reçurent donc, en même temps, la nouvelle de l’inoffensive sédition et de sa fin.

On pense si le général Canuel fit effort pour cacher sa joie. Malheureusement, M. de Sainneville était à Paris. Le préfet, écrasé sous le poids d’une réalité qu’on exagérait, se rendit, et deux cent quinze arrestations furent opérées à Lyon et trois cents aux alentours. Tout de suite la cour prévôtale ouvre ses sanglantes audiences, On divise en douze catégories les accusés, une catégorie par village suspect et une pour Lyon qui ne fut pas troublé, mais d’où l’ordre, disait-on, était venu. On voulait garder les chefs pour la fin, afin que, leurs complices étant frappés, leur sort fût assuré.

M. Decazes renvoie à Lyon M. de Sainneville qui doute encore, mais qui,