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toujours du sang, voilà, à côté de son œuvre directe, l’œuvre indirecte de la Chambre introuvable.

C’est le bonheur et le salut des démocraties qu’elles permettent aux colères de s’affirmer publiquement ; aussi elles peuvent les mesurer et en tenir compte en même temps que les consciences allégées redeviennent maîtresses d’elles-mêmes. Ainsi l’ordre règne par la liberté. Mais les gouvernements de réaction toujours engendrent et encouragent les sourdes révoltes et, quand on les veut frapper, il est trop tard, car l’explosion a lieu. Sous les coups répétés de cette Chambre introuvable, sous la provocation, devant le spectre de l’ancien régime, le peuple fut affolé. Chassé de la place publique, il se réfugia dans l’obscurité formidable des complots. Et telle fut l’histoire prolongée de la Restauration.

À Grenoble vivait un ancien avocat au parlement de Grenoble, alors âgé de près de soixante années, et qui s’appelait Paul Didier. Noble de cœur, d’esprit léger, enthousiaste, pitoyable aux vaincus, il avait été un royaliste fervent qu’avaient mis en fuite les menaces de la Révolution. Une idée fixe habitait son cerveau surchauffé par des lectures mal comprises et ébranlé par la mêlée des événements. Cette idée était de placer sur le trône le duc d’Orléans, avec qui il avait été en relations, mais qui n’avait en rien ni sollicité ni accepté ce concours.

Voilà Didier qui s’agite et qui recrute à Grenoble d’abord, dans le département de l’Isère ensuite, les adhérents d’une société dite l’Indépendance nationale. Sous ces montagnes habitait une population qui avait vu naître, dans ce riant berceau de la nature, la Révolution, et qui avait gardé l’amour farouche de la liberté. Officiers en demi-solde, officiers en service, jeunes hommes qui voulaient suivre leur rêve dans l’avenir, hommes d’âge qui voulaient sur le présent maudit venger le passé, tous se rencontraient. Pourquoi faire ? Un mouvement qui placerait sur le trône un autre prince. Lequel ? Napoléon Ier ou Napoléon II. Ici Didier entraînait par un mensonge des complices dans la conspiration ; jamais il n’avait eu l’intention d’agir en faveur de l’Empire, mais il redoutait la déception causée à ses amis par la révélation du nom d’un Bourbon…

Il faut agir. Un sous-officier livre le mot d’ordre de la citadelle. On se révoltera la nuit. Tout est prêt, lorsqu’une indiscrétion vient trahir le secret trop longtemps imposé à trop de lèvres. Les autorités sont prévenues ; elles étaient représentées par le général Donnadieu, commandant de la division, le préfet de Molevaut, le prévôt de Bastard, tous trois, d’ailleurs, en perpétuelle mésintelligence. Le préfet veut agir, le général hésite. Malgré ce désaccord, des mesures sont prises et l’insurrection se lève. Elle est étouffée à l’intérieur de la ville et, pour l’écraser aux abords de la ville, le colonel de Vautié fut avec quelques hommes. La rencontre a lieu : les insurgés cèdent tandis que Didier, tombé de cheval, s’enfuit éperdu.