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pouvoir rendre plus de services à l’Église que par des pensées solitaires. Il fit abroger la loi du divorce, au nom de la famille, de la vertu. Enfin, deux propositions suprêmes furent faites qui reçurent à la Chambre un enthousiaste accueil. L’une restituait au clergé la tenue des livres de l’état civil, et faisait refleurir en 1816 un des abus les plus criants de l’ancien régime. L’autre étendait sur l’âme cependant asservie de l’Université la main de l’Église. Il faut citer le texte même. « La religion sera désormais la base naturelle de l’éducation ; les collèges et pensions seront désormais sous la surveillance immédiate des archevêques et des évêques ;… les évêques nommeront aux places de principal de collège. Le principal nommera les professeurs ; néanmoins les évêques pourront renvoyer parmi ceux-ci les sujets incapables ou dont les principes seraient reconnus dangereux… »

Les ministres étaient las : aussi bien qu’auraient-ils pu répondre ? Ils reconnaissaient, sous des formes violentes, leur propre pensée, et ne pouvaient que reprocher à la mesure son inopportunité. Inutile grief pour une majorité qui, chaque jour, travaillait à restituer au monde la pensée glacée du monde disparu. Jamais, même autrefois, la réaction n’avait été plus ardente, plus cruelle, plus âpre, plus sûre d’elle-même. Le roi en était effrayé, et il permit qu’on travestit devant lui le mot louangeur dont il avait salué la Chambre dès qu’il avait connu son royalisme : « C’est la Chambre introuvable ». Elle l’était, en effet, en ce sens qu’on ne pouvait trouver rien de plus rétrograde, même en fouillant les tombes, même en ranimant les royalistes morts dans l’émigration. Aussi les ministres, et surtout parmi eux M. Decazes, la renvoyèrent en clôturant la session le 27 avril, et promettant de convoquer la Chambre le 1er octobre ; le ministère devait revivre, mais non la Chambre. Tout de suite, M. Decazes s’occupa de rendre au ministère l’homogénéité qu’il avait perdue, et de remplacer M. de Vaublanc qui, on s’en souvient, avait abandonné un projet ministériel en séance publique, et M. Barbé-Marbois, dont la faiblesse et la médiocrité n’étaient plus tolérables. Ainsi devenaient vacants le ministère de la Justice, que M. Dambray prit par intérim, et le ministère de l’Intérieur, qu’après bien des hésitations, et en souvenir de l’attitude de la Chambre qu’il présidait le 10 avril, M. Lainé finit par accepter.

M. Decazes n’avait qu’une idée : ne plus revoir devant lui cette Chambre dont le spectre menaçant s’offrait partout devant lui. Le spectacle qu’elle avait donné à la France n’avait pas frappé seulement le ministère exposé à ses plus rudes coups et perpétuellement vaincu par elle. Les alliés commençaient à s’inquiéter, se demandant si ces violences n’allaient pas soulever le pays et amener une agitation où se perdraient les engagements pécuniaires pris vis-à-vis d’eux. Mais avant eux, et plus qu’eux, s’était émue la nation, que ce retour inattendu de l’ancien régime déconcertait, révoltait, épouvantait. Des rumeurs, puis des plaintes, puis des complots, puis des échafauds,