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du projet de la commission. Ce projet, hostile après tout à celui que, par l’organe de ses ministres, le roi soutenait, fut attaqué par Sirven, Duvergier de Hauranne, Pasquier, Decazes, M. de Richelieu. Mais nul ne développa avec plus d’ampleur les arguments philosophiques que Royer-Collard, et les arguments politiques avec plus de force incisive et nerveuse que M. de Serres. « Comment frapper un homme parce qu’il s’est rallié le 22 mars à minuit et l’épargner parce qu’il s’est rallié le 23 mars à midi ? Ainsi le préfet de Seine-et-Oise, plus rapproché de l’empereur que celui des Pyrénées-Orientales, uniquement pour cela et parce qu’il se sera rallié plus tôt que son collègue, sera frappé et l’autre aura les faveurs royales ! » L’argument était inéluctable. « On confisque après avoir condamné et ensuite on condamne pour confisquer… » À cette phrase lapidaire se reconnaît la forte pensée de Royer-Collard. Et M. de Serres suppliait la Chambre d’écarter la confiscation. « Notre trésor est pauvre… qu’il soit pur ! C’est en entretenant au sein de la nation des sentiments nobles et généreux que vous l’enrichirez… »

Mais aucune de ces raisons, aucun de ces appels, ni l’argumentation juridique, ni l’élévation morale des idées, rien ne pouvait entamer ce bloc vivant de rancunes et de haines dont M. Corbière fut l’orateur intransigeant et éloquent. En vain M. de Richelieu laissa tomber cette haute et mélancolique leçon : « En vérité, je ne vous comprends pas, avec vos haines, vos ressentiments, vos passions qui ne peuvent amener que de nouveaux malheurs. Je passe tous les jours devant l’hôtel qui a appartenu à mes pères ; j’ai vu les terres immenses de ma famille dans les mains de nouveaux propriétaires ; je vois dans les musées des tableaux qui leur ont appartenu. Cela est triste, mais cela ne m’exaspère ni ne me rend implacable. Vraiment, vous me semblez quelquefois fous, vous qui êtes restés en France. » Écrasé sous cette apostrophe, M. de Villèle ne put répondre, en dépit de son habileté, que pour réclamer « une manière de gouverner plus rassurante ». Mais qu’importait la parole ? La commission réclamait les vaincus, et le jour allait venir où il faudrait les lui livrer. Soudain M. de Richelieu quitte la salle avec M. Decazes et va trouver le roi.

À son retour, une transaction est offerte : le roi accepte la confiscation, il accepte de substituer le mot « descendants » au mot « enfants », et d’élargir ainsi la proscription des Bonaparte, mais c’est tout. Richelieu plaide la cause des régicides, invoque la clémence de Dieu, celle qui sort d’une tombe ! La royauté demeure insensible ; on vote, non sans qu’un député de Nîmes ait demandé l’amnistie pour Trestaillons et ses complices. Enfin l’article établissant les catégories (dignitaires, préfets, généraux, députés ayant accepté l’acte additionnel) est mis aux voix. M. Duvergier de Hauranne réclame la question préalable ; elle est mise aux voix au milieu d’un silence pénible et votée par 184 contre 175 voix… Quant aux régicides, ils furent