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nion ! ». Le mot a fait fortune… à moins qu’elle ne fut faite déjà quand Napoléon le prononça… s’il l’a prononcé ! Quoi qu’il en soit, il est certain que sans autre témoignage que les faits connus de tous, on arrive à cette conclusion corroborée définitivement par un document[1] : Bonaparte voulait une croyance religieuse pour le peuple, mais il n’en eut personnellement aucune. Lanfrey avait donc raison, rejetant le mot de Thibaudeau — « les nerfs de Napoléon étaient en sympathie avec le sentiment de l’existence de Dieu » — et celui de Thiers — « Bonaparte, était porté aux idées religieuses par sa constitution morale » — de conclure que le premier consul lui apparaissait comme un homme qui « devait tout naturellement se retrouver catholique le jour où il aurait un intérêt à le paraître[2] ». Cet intérêt, c’est l’établissement de son pouvoir absolu.

Dès lors, il peut paraître singulier qu’il se soit tourné vers la papauté au lieu d’organiser une église, un clergé « à lui ». Mais il avait vu que les églises nouvelles n’avaient que des succès momentanés, tandis que l’Église romaine se maintenait par la survivance de traditions fort anciennes. Il pourrait lui demander de retremper sa puissance personnelle dans ces traditions et pensait bien faire du pape son serviteur autant et plus que son allié et cela en le tenant par l’intérêt et par la crainte. Ce qu’il voulait avant tout, c’est, si l’on peut s’exprimer ainsi, une organisation préfectorale des consciences. Et n’oublions pas que la politique religieuse de Bonaparte a abouti au catéchisme de 1807. Seulement, et c’est là que l’histoire nous offre le plus matière à réflexion, les Bonaparte, les gouvernements passent, tandis que cette organisation de superstition internationale qu’on appelle l’Église romaine subsiste avec ses racines parfois émondées, toujours prêtes à se multiplier. Un traité passé avec cette puissance si difficilement obligée à desserrer son étreinte pendant la Révolution devait entraîner à nouveau le pays et faire reculer pour longtemps l’œuvre révolutionnaire. Qu’importait à Bonaparte, sa seule puissance immédiate le préoccupait et puisque par le catholicisme romain il pouvait avoir des esclaves, il a demandé au chef catholique son appui.

CHAPITRE II

LE CONCORDAT ET LES ARTICLES ORGANIQUES

A. — COMMENT FUT CONCLU LE CONCORDAT

Le 16 prairial (5 juin 1800), Bonaparte, en pleine campagne d’Italie, dit aux curés de Milan, en parlant de la religion papiste : « Persuadé que cette religion est la seule qui puisse procurer un bonheur véritable à une société

  1. Notes manuscrites de Grégoire, appartenant à M. Gazier et citées par M. Aulard dans son Histoire politique de la Révolution, p. 734, note 3.
  2. Histoire de Napoléon Ier, t. II, p. 339.