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propriétaire, les mœurs sont meilleures ; il y a moins de jeux, moins de luxe et une habitude générale d’économie, tandis que, dans le voisinage des cités, la bourse du riche arrache au paysan le champ paternel par l’appât d’une quantité d’or qui, bien que supérieure à la valeur du champ aliéné, est bientôt dépensée en objets de frivolité, dont le goût séduit ces hommes entraînés par l’exemple du luxe que le brillant citadin tient chaque dimanche à étaler à leurs yeux.

« Dans tous les lieux où les possessions sont réduites à de petites surfaces, la petite culture est seule employée et tous les travaux y sont faits à la main. L’art des assolements y est employé depuis longtemps incognito, pour ainsi dire, et sans qu’on ait songé à lui donner un nom scientifique. Le propriétaire qui n’a qu’un petit champ n’est jamais trop embarrassé pour lui fournir les engrais nécessaires ; il a besoin de profiter de tout son terrain pour se procurer les denrées qui lui sont utiles, et chaque portion du sol est mise en valeur ; mais, l’exiguïté de cette surface ne fournissant pas de récoltes suffisantes pour faire subsister le propriétaire, celui-ci ne peut se passer de joindre à ce revenu quelque branche d’industrie qui lui fournira un supplément indispensable à l’entretien de sa famille : aussi les pays de petite propriété sont-ils, à ne considérer que la masse, plus productifs, plus industrieux, et, par suite, plus peuplés ; car la possession attache au sol natal et les fortunes divisées ne montrent point les extrêmes de la grande opulence et de la profonde misère, deux principaux motifs de l’abandon des campagnes.

« La grande culture, affectée aux vastes domaines, a, de son côté, de puissants avantages. Les riches capitaux des maîtres permettent les tentatives d’amélioration réclamées par les nouveaux besoins de la société. C’est là qu’on peut naturaliser, à force de soins et de dépenses, les produits des autres climats ; qu’on peut rassembler de grands troupeaux, multiplier les chevaux, essayer les croisements de races, pour parvenir enfin à affranchir le pays des tributs levés sur nous par l’industrie étrangère. L’agriculture n’est qu’un art dans les petites propriétés, elle devient une science dans les grandes. C’est là qu’on peut créer, comme par enchantement, des forêts et des pâturages, changer la nature du sol, amener des rivières, employer et faire valoir des fonds considérables ; et c’est là, enfin, qu’ayant à sa disposition les forces de la nature, l’opulence sert d’auxiliaire au génie : maîtresse de l’espace et du temps, elle alimente les sources de sa prospérité, répand le bonheur sur les contrées qu’elle vivifie, et fait jouir la nation du genre de gloire le plus doux et le plus conforme aux nobles destinées de l’homme civilisé.

« Les questions sur la grande ou la petite propriété sont subordonnées à